Des courses que firent les François és Gaules, & comment et en quel temps ils s’ en impatroniserent.
CHAPITRE VII.
La pluspart des autheurs d’ Allemaigne qui se sont amusez à discovrir sur ce poinct, pensent faire grande banniere encontre nous, lors qu’ ils se vantent que les François issus de la Germanie, ont pour quelque fois reduit sous leur obeïssance les Gaules. Veritablement, il faut que nous tous d’ un commun accord recognoissions & confessions que ces vieux François furent gens aguerris au possible, & qui de leur proüesse donnerent maintes espreuves, non toutesfois telles, qu’ il nous en faille desavantager d’ aucun poinct. Et de moy, discovrant ceste affaire en mon esprit, il me semble que toutes les choses de ce monde se reglent par une entresuitte, ou pour mieux dire, par un eternel jugement de la volonté divine: tellement que tantost nous voyons les Empires être demourez en un lieu, tantost avoir forchangé de main, comme il plaist au souverain maistre: Et ceux qui furent bien grands par succession de temps être venus bien petits. Si que l’ on pourroit approprier aux Royaumes, ce que le commun peuple dit des maisons nobles, qu’ elles sont en cent ans bannieres, & cent ans civieres. Non toutesfois que pour cela il faille mesestimer les nations, qui curent pour quelque temps du pis: leur estant ce pis de fois à autres procuré par une generale ordonnance des affaires de ce monde. Voire qu’ il semble qu’ en cecy se descouvrent les justes jugemens de Dieu, qui permet, que selon la proportion & mesure que l’ on a traicté ses voisins, on reçoive puis apres mesme traictement. Ce que nous voyons être advenu au peuple Romain: lequel tout ainsi qu’ au temps de sa vogue se donna toute autre nation en proye, aussi luy bastant puis apres mal la fortune, se trouva être la proye de toute nation estrangere. En ceste façon nous en prit-il en la Gaule: Car tout ainsi que quelquefois du temps d’ Ambigat Roy de Bourges (comme nous avons dit cy dessus) nous nous desbordasmes, tant contre l’ Italie sous la conduitte de Bellovese, que contre la Germanie sous Sigovese, plantans en l’ un & l’ autre pays nos demeures: aussi par succession de temps l’ Italien usant premierement de revange, occupa la domination sur les Gaules, & puis apres le Germain. Parquoy c’ est mal balancer les affaires de rapporter à nostre deshonneur la superintendance que les François usurperent en la Gaule: veu qu’ ils ne iouoyent que la revange du tort, que nous leur avions, ou à leurs compagnons, long temps auparavant pourchassé. Et au surplus il se trouvera (je dy cecy par un privilege peculier, qui nous a esté octroyé par la fortune) que l’ heur de la Gaule a esté tel, que de la mesme main qu’ elle a esté subjuguee par l’ Italien ou Germain, ceste victoire s’ est tournee à la foule & opression, voire entiere servitude de l’ Italie ou Germanie, qui se vantoit être de nous victorieuse. Qu’ il soit vray, n’ est-il certain que Jules Cesar, qui rendit les Gaules tributaires, soudain au retour de sa grande conqueste envahit l’ Empire Romain, au grand dommage & ruine de toute la liberté, ainçois de toute la chose publique Romaine? Voire jusques à favoriser le Gaulois au desavantage des siens, luy donnant contre l’ advis de tous, entree au Senat & commun Parlement d’ affaires? De mesme façon voyez-vous que ce grand Clovis Germain estant venu à chef d’ une partie de nos Gaules, non content de telle victoire, ou, peut-être, induit par une destinee Gauloise, s’ attacha au mesme pays, duquel il estoit descendu, c’ est à dire à la Germanie, lors possedee en la plus grand part par l’ Alleman: soubmettant le tout par une brave victoire, qu’ il eut à la journee de Tolbyac, sous sa puissance: usant de là en avant de la Gaule comme de son vray manoir, & rendant l’ Allemagne à soy tributaire, comme si elle luy eust esté estrangere. Qui est une consideration qui tourneroit grandement à l’ honneur de nostre pays, n’ estoit que les victoires estans journalieres, c’ est, à mon jugement, une querelle assez mal fondee, de s’ estimer de plus ou moins, pour avoir esté quelquesfois ou vaincu ou victorieux, quand la vertu n’ a failly d’ une part & d’ autre au besoin. Les Gaulois usurperent premierement une partie de la Germanie. Les Germains depuis nous rendirent, par la venuë des François, le semblable. Et depuis sous Clovis, & assez long temps apres sous Charlemagne, la Germanie fut reduite en toute extremité d’ obeïssance sous la Gaule, & dura ceste Monarchie jusques vers le temps des Othons. Ainsi changent de main les Royaumes, sans que pour cela, ils doivent être vilipendez. Chose, que j’ ay voulu deduire en passant, afin de coupper la broche aux estrangers de se haut loüer dessus nous, & à quelques-uns des nostres de s’ excuser, lesquels soustiennent (comme fait François Conam honneur de nostre Paris) que ces François estoient encores du vieil estoc des Gaulois, qui sous le Prince Sigovese avoient choisi leur demeure és environs de la forest Hercinienne.
Mais pour venir à mon poinct, & parler du temps, auquel les François s’ emparerent de la Gaule, qui est le principal but & proget de ce chapitre, il faut que je me plaigne de la fortune & du temps, laquelle semble s’ estre du tout formalisee en cest endroict encontre nous. D’ autant que la pluspart des choses anciennes du temps de devant & apres l’ entree des François, a eu ses historiographes, desquels on peut tirer quelque estincelle des faicts de nos François. Mais lors qu’ ils entrerent és Gaules pour s’ y habituer à jamais, avecques un general bannissement des Romains (qui est tout l’ entrejet de temps depuis l’ Empire de Valentinian premier, jusques à Zenon Empereur de Constantinople) il semble qu’ avecques le declin de l’ Empire, les histoires fussent totalement taries. Car de plusieurs endroicts nous pouvons diversement recueillir une grande opiniastreté qu’ ils eurent à s’ empieter de la Gaule. Parce que devant mesmes qu’ Aurelian fust investy de l’ Empire, c’ est à dire, sous Valerian & Galien, ils faisoient plusieurs ravages en ce pays, si nous croyons Vopisque. Et Eutrope, comme j’ ay deduict au chapitre dernier passé, raconte que sous Diocletian, ils escumoient toute la mer de la Gaule Belgique & de la petite Bretagne. Aussi Nazare en un sien Panegiric tesmoigne, que sous Constance pere de Constantin, ils avoient occupé tout le pays de Holande, duquel ils furent par luy dechassez. Et Marcellin en quelque lieu est tesmoin, que Julian l’ Apostat, estant empesché aux affaires de la Germanie, à son retour les trouva s’ estre faicts seigneurs de deux villes. Et peu apres il dict que le mesme Julian, voulant tourner tout son esprit à la guerre des Germains, la premiere recommandation qu’ il eut, fut de s’ addresser aux François, qui avoient maintesfois osé entreprendre sur les marches du Romain. Qui sont tous tesmoignages apparens que les François de tout temps s’ estoient opiniastrez à l’ envahissement de la Gaule. Mesmement (comme tesmoigne encor’ Marcellin) nouvelles vindrent à Valentinian premier, ainsi que n’ agueres je disois, que les François & Saxons, avecques plusieurs gens de guerre, estoient descendus contre nous. Ce neantmoins qui nous ait depuis dict ny quoy ny comment les choses allerent, au moins des autheurs anciens, il est fort malaisé d’ en trouver, ains demeurerent les histoires acrochees depuis ce gentil Marcellin, jusques vers un Procope & Agathie, l’ un desquels commence son narré à Theodoric Roy des Gots, qui regnoit en l’ Italie du temps de Clovis, & l’ autre, à Childebert, Clotaire, Clodomire, & Theodoric fils de Clovis. De sorte qu’ entre ces deux temps s’ escoulent les quatre premiers Princes, que nous ennombrons entre les anciens Roys de France: Pharamond, Clodion, Meroüee, & Childeric: & faut presque que du demourant nous jugions par conjectures. Au surplus d’ attribuer toute la venuë des François sous un Valentinian premier ou dernier, comme je voy plusieurs Historiens d’ Italie maintenir, ce sont certainement abus: d’ autant qu’ ils n’ occuperent les Gaules d’ un premier effort ou desbord, ains par un assez long progrez & apres avoir donné plusieurs eschecs à l’ Empire, finalement le materent. Et pour autant que de la venuë & advenement des François & autres peuples provint la ruine de l’ Empire Romain, il me semble qu’ il ne sera hors de propos de discovrir en ce lieu les moyens par lesquels ces nations estrangeres eschantillonnerent en parcelles l’ Estat de Rome, parce qu’ encores que le periode du mal-heur vint vers l’ Empire d’ Arcade, Honore, & Valentinian le tiers, si est-ce que qui voudra rapporter chaque piece à son vray poinct, certainement il trouvera que la mutation de l’ Estat prenoit ses racines de plus loing. Car pour vray dire les Republiques simbolisent en cecy avecq’ les corps humains, lesquels bien qu’ ils rendent l’ ame en certain temps, toutesfois ce definement leur advient par les humeurs peccantes qu’ ils ont de longue main amassees en eux. Aussi se treuve le semblable en tout ordre politic, lequel ayant commencemens & promotions favorables, vient apres à defaillir par certains accidens, desquels on peut infailliblement presagir sa fin par demonstrations politiques qui ne sont pas moins palpables que celles de Mathematique à ceux qui en font profession.
De ma part discovrant en moy tous les derniers deportemens de l’ Empire, je me suis tousjours fait accroire que l’ un des premiers acheminemens de sa ruine provint de Constantin (encores qu’ il ait esté par les nostres surnommé le Grand) qui depuis se continua sans interruption jusques au dernier souspir. Car qui remarquera les guerres civiles, qui furent durant son Empire entre luy, Lycinius, & Maxence: le transport de l’ Estat qu’ il fit de l’ ancienne Romme, en la nouvelle, qu’ il appella de son nom Constantinople: la nouvelle mutation par luy faite des legions establies sur les limites & frontieres pour faire teste aux courses des Barbares: les transportant de leurs anciennes garnisons au cœur de l’ Empire, où il n’ en estoit nul besoing: De la qui repassera à la continuation des guerres civiles qui se trouverent entre les enfans de Constantin: & que le tout estant depuis reduit & advenu en la personne de Constance, encores eut-il à guerroyer quelques Princes & grands Seigneurs de ses sujects, voire que pour closture de ses actions Julian mesme (qui auparavant, luy avoit esté un seur & fort rampart és Gaules contre les advenuës des Germains) se rebella encontre luy: Qui avec ce adjoustera la neantise de Jovinian qui fit une paix si honteuse avec les Perses, que jamais depuis la puissance Romaine ne s’ en peut remettre sus au Levant: Neantize aconsuivie de pres par celle de Valentinian & Valens successeurs de Jovinian: Princes certainement de peu, & dont les effects firent paroistre qu’ ils n’ estoient non plus duits à l’ exercice des armes, que des bonnes lettres. Qui considerera en apres la molesse de Theodose, & les grandes & excessives surcharges qu’ il imposa sur son peuple, pour fournir a sa despense extraordinaire: & qu’ à Theodose succederent deux jeunes garçons ses enfans, Arcade & Honore, commandez, ou pour mieux dire gourmandez, pendant leurs minoritez, par Ruffin & Stilicon, leurs gouverneurs: Qui iettera encores l’ œil sur les meurtres & assassins que les Princes faisoient faire de leurs favoris & mieux aimez, sans cognoissance de cause, lors qu’ ils en estoient las & attediez, (car aussi bien fut tué ce grand & brave Capitaine Etius, par le commandement de Valentinian dernier, comme Ruffin & Stilicon par Arcade & Honore) & que ceux qui entroient en leur lieu n’ estoient de plus grand merite que les meurdris & homicidez, ains qu’ ils joüoyent à qui mieux mieux au boute-hors, sans porter aucun zele, ny à leur souverain seigneur, ny au public, & que les gouvernements des Provinces se vendoient, si ainsi le faut dire, à l’ enquant au plus offrant & dernier encherisseur: Qui pesera davantage les changemens des Estats, & offices anciens en nouveaux, la multiplication d’ iceux qui se firent à la foule & oppression du peuple sous Constantin & Theodose: La mutation de Religion qui advint à huis ouvert sous l’ un & l’ autre de ces deux Princes: Et outre ce, les sectes, divisions & partialitez qui estoient mesmes entre ceux qui par nouvelle permission de leurs Princes, avoient empieté quelque authorité dessus l’ ancienne: & qui avecques tout cecy ramenera en memoire les peuples estrangers, dont pendant les troubles & guerres civiles, l’ Empereur estoit contrainct de s’ aider, voire les adopter dans ses legions comme naturels Romains, se les rendant comme domestics: Bref que les affaires de l’ Empire estoient arrivees en tel desarroy par la pusillanimité & nonchallance de quelques Princes, que les villes estoient contrainctes de se liguer & soudoyer elles-mesmes, & s’ exempter de la puissance ancienne des Empereurs, pour s’ opposer à ceux qui par un droict de bien seance vouloient usurper nouvelle tyrannie: Comme nommément il advint tant és Gaules, qu’ en la grand Bretagne, quand un autre nommé Constantin, nouveau tyran voulut occuper ces deux contrees, au prejudice d’ Arcade & Honore: car lors ces deux jeunes Empereurs defaillans de garends à leurs subjects, la plus grande partie des villes & citez, voyans d’ un costé qu’ elles n’ estoient soustenuës de leurs Princes naturels, d’ un autre ne pouvans souffrir un illegitime seigneur: sans faire estat de là en avant de la Majesté Imperiale, ny des Visempereurs qui gouvernoient les Provinces, s’ en firent accroire elles-mesmes, & à leurs propres cousts & despens, soustindrent le deffroy de la guerre: s’ affranchissans par ce moyen par voyes sombres & couvertes, de l’ ancienne obeïssance qu’ elles avoient en leurs Empereurs, lors qu’ elles faisoient contenance de les supporter & favoriser: Qui di-je meslera toutes ces rencontres ensemble; il jugera fort aisément que tout ce grand Cahos & meslange d’ affaires couvoit dans soy, toute la mutation de la Republique: qui ne s’ escloït pas tout d’ un coup, ains par traicte de temps, selon que les occasions enseignerent à l’ estranger de choisir son apoinct. Comme aussi n’ y a-il la moindre de toutes ces particularitez, qui ne soit suffisante pour subvertir un Estat.
A fin que je n’ obmette en passant, que ces Empereurs usoient, si je ne m’ abuse, plus de la Religion pour la commodité de leurs affaires, que par zele ou devotion: & que les plus advisez se rangeoient du party le plus affligé, à ce que le prenant sous sa garde & protection, il peust faire fonds plus asseuré de luy contre leurs ennemis. Ainsi trouverez-vous que Constantin le Grand ayant à guerroyer un Licinius ennemy juré de nostre Chriftianisme, commença d’ attirer à soy les Chrestiens, lors grandement rebutez, par le moyen desquels il obtint depuis une infinité de victoires encontre ses corrivaux. Et neantmoins ne receut le sainct Sacrement de Baptesme, qu’ un ou deux jours auparavant son decez. Et comme ainsi fut que dedans nostre Religion le diable eust planté un schisme trespernicieux par la damnable doctrine d’ Arius Prestre d’ Alexandrie, & que sous Constantin le party Arien eust esté grandement terrassé par les Catholiques, Constance son fils pour subvenir à la necessité de ses guerres civiles, commença de l’ embrasser contre ses adversaires: & d’ un mesme conseil Julian son successeur reprit les anciennes brisees du Paganisme, qui estoit lors aussi grandement avily, par la puissance & authorité que les Chrestiens avoient occupé sur eux, bien que sous deux diverses Sectes. Et seroit mal-aisé de dire combien & l’ un & l’ autre firent de braves exploits d’ armes sous cet artifice, usant de la Religion par discours. Ne s’ advisans pas toutesfois que pendant qu’ ils se ioüoient en ceste façon de Dieu & de sa Religion, Dieu aussi se ioüoit d’ eux à meilleures enseignes, lequel desirant être adoré par un zele interieur de vraye foy, & non par discours politiques, tenoit nud entre ses mains le glaive de vengeance sur eux, qu’ il desploya depuis par l’ entremise de toutes ces nations estrangeres, lesquelles butinerent entre-elles la plus grande & meilleure partie de l’ Empire. Car pendant que Constance estoit empesché à ses guerres civiles, les François, Allemans, & Saxons (comme nous apprenons de Zosime) pillerent quarante villes assises l’ oree du Rhin, & enleverent en leurs pays une infinité de pauvres ames, qu’ ils reduisirent en servitude. Pour à quoy donner ordre l’ Empereur depescha en Gaules Julian l’ Apostat avecq’ quelques legions: Jeune Prince qui accompagna sa fortune d’ une si sage conduite, que tant & si longuement qu’ il commanda, ce fut un fort boulevert contre toutes les avenuës des François. Et neantmoins quelque heureux succés qu’ il encontre eux, si fut-il contraint de caller la voile à leur tempeste, & mesmes esperant de les gagner par douceur, il en prit plusieurs à sa soulde, les enroulant dedans ses legions: Qui ne fut pas une petite place à la longue. Parce que depuis il y eut des plus grands Capitaines de France, qui commanderent sous l’ authorité des Empereurs, aux trouppes Romaines, comme uns Mellobaudes, Bandon & Arbogaste: Arbogaste, dy-je, qui non seulement tua impunément l’ Empereur Gratian, mais aussi fit tomber la Couronne de l’ Empire és mains d’ Eugene. D’ aprivoiser au milieu de nous, une nation estrange, belliqueuse & convoiteuse de bien & d’ honneur, c’ est une chose de tres-perilleuse consequence & plus dangereux effet. Or tout ainsi que la presence de Julian grand guerrier contint quelque temps tous les peuples de la Germanie dans leurs bornes, aussi apres son decez, ils recommencerent de se desborder plus licentieusement, qu’ ils n’ avoient faict auparavant. Et specialement contre Valentinian premier du nom, lequel pour leur faire teste renforça ses garnisons le long du Rhin, nonbstant lesquelles il fut desconfit en bataille rangee, dont il sçeut apres avoir fort bien sa revange: Car il les desfit en une autre journee avecq’ tel carnage & boucherie, qu’ il sembloit qu’ ils ne s’ en deussent jamais relcuer. Mais les victoires que les Empereurs obtenoient contre eux, ressembloient à celles d’ Hercule contre l’ Hydre, à laquelle ayant couppé une teste, il luy en renaissoit sept autres. C’ estoit une fourmiliere de peuples que l’ on ne pouvoit desenger. Valentinian estant mort delaisse Gratian son fils Empereur, & depuis Theodose appellé à la couronne, & apres luy Arcade & Honore ses enfans. Tout cet entregect de temps fut un pesle-mesle d’ affaires, non seulement en la Gaule, mais en plusieurs autres pays. La paix honteuse de Jovinian avecques le Roy de Perse, excita un contemnement commun & acheminement à une infinité de nations encontre l’ Empire: dont les grands efforts vindrent fondre au temps d’ Arcade & Honore jeunes Empereurs. Sainct Hierosme qui lors florissoit, & partant spectateur de ceste tragedie, disoit en la harangue funebre qu’ il fit de Nepotian, que les cheveux luy dressoient en teste toutes & quantesfois qu’ il se mettoit devant les yeux, les ruines generales de l’ Estat de Rome. Qu’ il y avoit vingt ans & plus que le sang Romain estoit espandu, & que les ames franches & nobles servoient de joüet aux Barbares. Que la Scythie, Thrace, Macedoine, la Dardanique, Dace, la Thessalonique, Achaye, Epire, Dalmatie, & toutes les Pannonies estoient ravagees par les Gots, Sarmates, Quadiens, Alains, Huns, Vandales & Marcomannes. Et en vue Epistre à Gerontia veusue, où il luy descrit l’ honneur de la Monogamie, tombant incidemment sur les mal-heurs, qui estoient en Gaule, dit que tout ce qui estoit enclos dedans l’ enceinte du Pyrené, jusques aux Alpes, & du Rhin jusques à l’ Ocean, estoit covru & fourragé par les Gots, Quadiens, Vandales, Sarmates, Alains, Hecubiens, Saxons, Bourguignons, Allemans: & les villes de Majence, Spire, Amiens, Rheims, Arras, Terouenne, Strasbourg par eux pillees, & la plus grande partie de l’ Aquitaine, & des Provinces Lyonnoise & Narbonnoise de nouveau prises & occupees. En ce passage nulle mention du François, qui toutesfois s’ estoit auparavant fait assez cognoistre aux Romains à bonnes enseignes. Mais la verité est qu’ en ceste desbauche generale, le Visegot & le Bourguignon s’ estoient impatronisez devant luy, celuy-là d’ une partie de l’ Aquitaine & du Languedoc, & cestuy du pays que nous appellons la Bourgongne, jusques bien avant dans le Lyonnois. Bien est-il à presumer que Pharamond premierement, puis son successeur Clodion, voyans l’ Empire en tel desordre, ne demouroient ce temps pendant engourdis, estans d’ un naturel instinct, comme tous leurs devanciers, adonnez à entreprises hautaines. Aussi qu’ ils estoient à cela taisiblement semonds (qui fut la consommation du mal-heur de tout l’ Empire) par les factions & intelligences de Stilicon beaupere de l’ Empereur Honore, lequel ayant toute son entente fichee à faire tomber la couronne de l’ Empire, de son gendre en la personne de son fils Euchere, brassoit souz main avec les nations estranges toutes manieres de troubles, afin que plus aisément il peust venir au dessus de ses attaintes, quand Honore de toutes parts seroit reduit à l’ estroict & angustie d’ affaires. Tellement que de ce temps là, c’ est à dire souz Honore, il ne fut mal-aisé à Pharamond, puis à Clodion occuper quelques terres que tenoient auparavant les Romains le long du rivage du Rhin, desquels Roys le dernier feit quelques courses sur le Cambresy. Car quant à Pharamond, il est certain, & sont toutes doctes personnes d’ advis, qu’ il ne penetra jamais jusques à nous: comme il est assez facile de recueillir de Paul le Diacre (afin que, peust être, on ne pense que je parle par cœur de cecy) en la vie de Gratian: auquel lieu deduisant les menees sourdes de Stilicon avecques les Sueves, Bourguignons, Allains, & Vandales, pour moyenner par leurs troubles l’ Empire du Ponant à son fils: Parquoy (dit-il) l’ Espaigne Betique escheut aux Vandales: le pays de Galice, aux Allains & Sueves : aux Gots, le Tholosain & Languedoc: aux Cattiens & Allains, la Catelongne. Pendant lesquelles mutations, Ætius gouverneur des Gaules (qui n’ estoient tombees en la puissance du Got ou Bourguignon) entretint tousjours en devoir dessouz l’ Empire, le Tourangeois, Angeuin (Angevin), & le Breton. Ce neantmoins entre ces grandes revoltes les François commencerent à lever la reste. Et ores que pour quelques fois ils eussent esté repoussez par Ætius en leurs païs, ce neantmoins voyans leur apoint soubz la conduite de Cleon & Neronee radoubans leur force & puissance, commencerent à covrir les Gaules, & dresser leur siege & Royaume és villes d’ Orleans & Paris. Là où, à mon jugement, au lieu de Cleon & Neronee, il faut lire Clodion & Merovee; & à tant peut-on à plus pres voir par là, de quel temps les François aborderent en ce pays, & que Pharamond ne passa de gueres les bornes du Rhin, ains sans plus Clodion son fils, & apres luy Merovee, qui entre les autres François se donna la premiere loy de se promener hardiment par la Gaule, soit que par force d’ armes, il s’ ouvrit la voye en ce pays, ou que par capitulation faicte avec les Romains luy feut donnee assiette en ceste Gaule. D’ autant que du temps de Valentinian le tiers, il se trouva avec Aetius en la bataille, qui fut donnee vers Chaalons contre Attille Roy des Huns. Et pour ceste cause noz ancestres le recognoissans quasi comme premier Roy, qui passa en ce pays, appelloient de luy les François, Merovingiens. Depuis luy regna Childeric, qui fut chassé: puis remis, & enjamba assez avant en la Gaule. Pendant lequel temps Boniface, gouverneur du pays d’ Afrique, pour quelque maltalent qu’ il avoit conceu contre Valentinian Empereur troisiesme de ce nom, donna entree en son gouvernement à Genseric Roy des Vandales, qui lors estoient mal menez des Visegots en Espaignes. Ainsi ayant d’ un costé les Visegots defalqué l’ Aquitaine, & Espaigne de l’ Empire, les Bourguignons toute la coste fertile de la Gaule, possedee devant eux par les Sequanois, les Vandales l’ Afrique, les François premierement du temps d’ Honore soubz Pharamond, les places ioignantes au Rhin, puis soubz Valentinian le tiers, quelques villes de la Belgique & Celtique, finalement nasquit entre ces Eclipses, vers le temps de Leon & Zenon Empereurs de Constantinople ce grand Roy Luduith, ainsi nommé par les Allemans, ou Luduin (en la façon qu’ il est appellé és Epistres de Cassiodore) lequel nous avons, selon la commodité de nostre langue nommé Clovis, auquel, à bien dire, nous devons rapporter la vraye entree, & ensemble la promotion des François en ceste Gaule: d’ autant que les quatre premiers se tenans tousjours clos & couverts, & ayans la grandeur du nom de cet Empire Romain pour suspecte, n’ avoient faict que temporiser, espians (comme je croy) leur opportunité pour s’ avancer: Laquelle se trouva par la magnanimité & proüesse de ce grand Roy, qui extermina de tout poinct toute la puissance des Romains, sans que depuis ils y ayent eu aucun regrés. Et pour autant qu’ il luy restoit encor à gaigner tout le pays que tenoient les Bourguignons & Visegots, pour le regard des Bourguignons ils furent par deux subsecutives defaictes rendus à luy tributaires, & finalement leur Royaume du tout aboly par ses quatre fils. Et quant aux Visegots, ne povant demourer de requoy qu’ il n’ eust la souveraineté entiere de la Gaule, il leur liura dure guerre, en laquelle Alaric leur Roy fut en champ de bataille mis à mort de ses propres mains. Au moyen dequoy apres telle roupte luy fut aisé d’ usurper une grande partie de ses pays : le reste demourant és mains de Theodoric Roy d’ Italie, comme tuteur d’ Amalaric fils d’ Alaric, lequel Amalaric, ayant pris à femme l’ une des filles de Clovis, & luy donnant mauvais traictement, feut finalement tué en champ de bataille par Childebert, avec si grande perte des siens, que depuis la memoire des Visegots s’ esvanouït en la France, tout le peu qui restoit de ceste bataille, prenant la suitte vers les Espaignes. Ainsi n’ y avoit plus qu’ une partie de la Provence, qui soubz umbre d’ une curatelle, estoit demouree és mains des Ostrogots successeurs aux pays d’ Italie, de Theodoric: toutesfois fut le tout remis és mains des enfans de Clovis, lors que l’ Empereur Justinian, par l’ entremise de Belissaire, liura la guerre à Theodaat, puis à Vitige leur Roy: craignans iceux Ostrogots, qu’ estans d’ une part empeschez contre l’ Empereur, les François (qui lors estoient fort redoutez) ne leur donnassent d’ un autre costé à dos. En effect, voila comment les François se feirent universels possesseurs de ceste Gaule: ayans premierement par diverses courses donné mille algarades aux Romains: de là soubz Valentinian premier, s’ estans mis en tout devoir de fourrager ceste Gaule: puis à meilleures enseignes avec leur Roy Pharamond ayans occupé, du temps d’ Honoré, les appartenances du Rhin: & soubz Valentinian le tiers, une partie de la Gaule, jusques à la venuë de Clovis, qui meit fin à leurs longs projects. Toutesfois pour autant que nous avons n’ agueres faict mention des Ostrogots & Visegots, qui tindrent par un temps quelques parties des Gaules, il ne sera, peut être, hors propos, si nous deduisons sommairement ce qui en fut, estant une histoire, qui tombe ordinairement en propos, neantmoins non de tous entenduë.