Chapitre IV. De ce que l’ ancien Romain appelloit les Gaulois legers.

De ce que l’ ancien Romain appelloit les Gaulois legers.

CHAPITRE IV.

Plusieurs ont attribué au Gaulois une inconstance d’ esprit, comme si elle luy fut familiere sur toutes autres nations, par un commandement du Ciel. De ma part, encores que paraventure je ne vueille du tout bannir ce vice de luy (ne m’ estant en ce lieu proposé seulement que ce que la verité me dicte) toutesfois il me semble que tels personnages digerent assez cruëment ceste affaire. Car quelquesfois dans Cesar, qui est l’ un de nos premiers parrains pour ce regard, il est advenu de nous baptiser de ce nom : au contraire Aurelian Empereur, ainsi que recite Vopisque, escrivant au Senat de Rome: Nous avons, disoit-il, estably sur les marches de delà le Rhin, Lieutenant general pour nous, Postume, lequel aussi nous avons esleu Visempereur des Gaules, digne à mon jugement de la severité du Gaulois, en la presence duquel la Majesté de l’ Empire, & le bon droict à chacun sera gardé. Qui monstre que le jugement de tous n’ a pas esté en cet endroit d’ une mesme façon conforme. Aussi qui recherchera les choses de pres, certainement il verra que ceste legereté improperee au Gaulois, ne luy provenoit point tant d’ un cerveau mal arresté, que pour recouvrer ceste premiere liberté que Cesar luy avoit emblee: reputant à liberté, ou de n’ être sous une servitude estrangere, ou d’ avoir Empereur à sa poste, & qui eust esté fait de sa main. A ceste cause voyez vous bien peu, que ce mesme Cesar nous appelle legers, que tout d’ une suitte il ne die, & adonnez à choses nouvelles & mutations. Et semblablement Trebelle Pollion, parlant de la legereté Gauloise, adjouste par mesme moyen, une envie qui nous suivoit continuellement, comme fait l’ umbre le corps, de n’ obeïr à l’ Empire: tellement qu’ encor que pour n’ être les plus forts, nos entreprises ne reüscissent à bon effect, ce neantmoins aux premieres offres de mutations tousjours nous esbranlasmes nous contre la puissance du Senat Romain. Iaçoit que pour nous alecher & induire plus facilement à leur obeïr, Jules Cesar, comme recite Suetone, & à son exemple quelques autres Empereurs, comme dit Tacite, donnassent à plusieurs Gaulois seance au Senat de Rome. Ainsi lisons-nous que Tibere pour quelque temps Gouverneur des Gaules sous Auguste (car je ne me veux amuser aux revoltes qui se firent sous Jules Cesar) se trouva assez empesché à reduire ceste Province en bon train, pour les divorces qui y sourdoient contre l’ Empire par les factions des Potentats. Et peu de temps apres Sacrovir s’ y voulut nommer Empereur: comme du temps de Neron, Vindex: dessous Severe, Albin: sous Galien, Postume, Marie, & Victorin: Tetrique, sous Aurelian: Saturnin & Procule, sous Probe: Maxence & Silvain, du temps de Constance: & finalement Constantin & son fils sous l’ Empire d’ Arcade & Honore, qui fut non loing auparavant le regne & domination des François. De maniere que la Gaule par les Romains subjuguee, servir d’ un perpetuel pensement à celuy qui estoit revestu du droict d’ Empire par le Senat, pour destourner de luy les embusches d’ oysiueté. Tant estoient les Gaulois acharnez au recouvrement de leur liberté: estimans (ainsi que maintenant je disois, & comme font ordinairement tous peuples) être libres s’ ils avoient Prince par eux instalé dans leurs pays: ou pour le moins avoir plus facile accés, & ressource à leur pretenduë liberté, si par leur moyen les cartes estoient tousjours broüillees. Et me souvient sur ce mesme propos, que Cesar en quelque passage, attribuant à une legereté d’ esprit les rebellions que nous brassions contre luy en ce nouvel envahissement de Province, est contraint en passant de dire, qu’ entre les autres occasions de nos revoltes, la principale venoit de ce qu’ il nous estoit fascheux de perdre avec nostre liberté la reputation que nous avions acquise par plusieurs siecles de nostre vaillantise & proüesse. Chose, qui aduint mesmement de dire à Caton (afin que paraventure on ne pense que Cesar se vueille donner trop beau jeu) en une harangue qu’ il fit au Senat, recitee par Saluste, où il dit que les Grecs en science, les Gaulois au fait des armes & haute chevalerie estoient estimez emporter le dessus de toutes autres nations. Au moyen dequoy ne faut trouver estrange, si les Gaulois se ressentans de leur ancienne generosité, brassoient tousjours nouvelle algarade. Laquelle chose ne venant à bonne assuë, furent pour ceste occasion reputez du populaire Romain, legers.