Gouvernements des Rois mineurs par les Roynes leurs meres, Regences & Majoritez de noz Rois.
CHAPITRE XVII.
Combien que religieusement nous ayons observé ceste Loy Salique, au desadvantage des femmes pour le regard de la succession du Royaume, si ne leur voulumes nous oster le gouvernement des Roys leurs enfans, au temps de leurs minoritez, encores que je sçache bien que quelques plumes partiales se soient assez mal à propos, apres la mort du Roy Henry second, voulu faire acroire du contraire, par une consequence qu’ ils tiroient du droict successif du Royaume, au gouvernement d’ iceluy. Or que ce que je dy soit veritable, nous trouverons que posé que jamais n’ ayons veu femme succeder à la Couronne, si en avons veu plusieurs és anciennes histoires avoir eu, & le maniement du Royaume, & la charge de leurs enfans, pendant leurs minoritez, & jusques à ce qu’ ils eussent attaints aage de plein commandement. En ceste façon tint Amalafonte (dont j’ ay parlé cy-devant) le gouvernement de son fils Athalaric entre les Ostrogots, elle toutesfois qui jamais n’ avoit aspiré au sceptre. Et entre nous la Roine Fredegonde mania toutes les affaires de France pendant le soubzaage du Roy Clotaire son fils: Et les mania si dextrement, qu’ il se veit avant que de mourir, Monarque des Gaules, & des Allemaignes. Le semblable feit Nantilde veufve du Roy Dagobert à l’ endroict du Roy Clovis deuxiesme de ce nom, son fils: Et long entreject de temps apres Blanche mere de sainct Louys, laquelle s’ y comporta avec telle sagesse, que tout ainsi que les Empereurs de Romme se faisoient appeller Augustes en commemoration de l’ heur qui s’ estoit trouvé au grand Empereur Auguste, aussi toutes les Roines Meres anciennement, apres les decés des Rois leurs maris, vouloient être nommees Roines Blanches, par une honorable memoire tiree du bon gouvernement de ceste sage Princesse. Et s’ il nous faut passer plus bas, pendant que le Roy Charles sixiesme se trouva alteré de son bon sens, le gouvernement feut deferé du consentement de tout le conseil à la Roine Isabelle sa femme. Comme aussi de la memoire de noz Peres, pendant la prison du grand Roy François, à Louyse de Savoye sa mere, laquelle apres le retour du Roy son fils, feut tout le reste de sa vie honoree de ce grand tiltre de Regente, quand on parloit d’ elle: Qui nous rend assez certains que noz ancestres ne voulurent oncques balancer les Regences, de mesme poix que le droict successif du Royaume. Aussi est-ce la verité qu’ ores que les anciens Germains de l’ estoc desquels nous sommes issus semblassent ne deferer la Couronne qu’ aux enfans masles, si avoient ils accoustumé d’ appeller les femmes aux affaires d’ Estat, tout aussi bien que les hommes, comme nous apprenons de Tacite. Et mesmement pour montrer que l’ argument rapporté des successions aux Regences, est captieux, nous voyons en cas non beaucoup dissemblable de raison, que de droict primitif & originaire des François, les fiefs estoient seulement destinez pour les masles, comme estans du tout dediez aux necessitez des guerres, ce neantmoins noz anciennes coustumes ne delaisserent apres le trespas des peres, de transmettre la garde noble des enfans pupilles, aux meres, c’ est à dire le gouvernement de leurs personnes, & de leurs biens, soit qu’ ils consistassent en Fiefs, ou en Rotures.
Apres avoir discouru en peu de paroles ce point, il ne sera, ce me semble, hors propos de discourir maintenant, tant de la dignité des Regents, que majorité de noz Rois. Le premier Prince qui se feit appeller Regent en nostre France, feut Philippe le Long, pendant la grossesse de la Roine Clemence sa belle sœur, veufve du Roy Louys Hutin. Depuis ce temps jusques au regne du Roy Jean, il ne se presenta occasion pour laquelle il nous feust besoin d’ être gouvernez par autres que noz Rois. Le desastre qui luy advint pres de Poictiers feut cause que pendant sa prison, Charles cinquiesme son fils prit la generale surintendance du Royaume, non souz le titre de Regent, ains de Gouverneur general seulement; estimant que la qualité de Regent estoit de trop grande authorité. Toutesfois voyant que quelques Princes & grands Seigneurs abusans de la longue absence du Roy, broüilloient outre mesure les affaires du Royaume, il feit publier lettres en l’ an 1357. au Parlement de Paris, par lesquelles il declara que pour le bien & utilité de l’ Estat il prenoit la qualité de Regent. Et de la en avant l’ intitulation de toutes les lettres qu’ il decernoit tant en la grande que petite Chancellerie, estoit telle. Charles fils de Roy, & Regent le Royaume de France, Duc de Normandie, Dauphin de Vienne. Toutes les expeditions, tant de Justice que de graces, se faisans souz son nom seulement. Vray que pour bannir de luy toute jalousie, apres le retour du Roy son pere, il obtint de luy lettres patentes du quatorziesme jour d’ Octobre 1360. portans confirmation des collations par luy faictes des Benefices qui avoint vacqué en Regale, ensemble des dons, graces, pardons, & remissions par luy octroiées.
Or comme il estoit Prince de grand sens, qui par soy mesmes avoit peu cognoistre de quelle consequence estoit la dignité du Regent pendant la pupillarité d’ un Roy, & qu’ il estoit à craindre qu’ à la longue, il n’ empiestat sur la Couronne quelque authorité extraordinaire, aussi voulut-il borner le soubz aage de noz Roys jusques à ce qu’ ils feussent entrez au quatorziesme an. Quoy faisant il pensoit aussi borner la puissance passagere des Regents. L’ Edict en feut dressé au bois de Vincennes 1374. plein de belles raisons & histoires pour montrer qu’ il ne vouloit enjamber mal à propos sur la nature. Car par le narré il estoit porté que trois ou quatre Rois d’ Israel avoient esté oincts & couronnez en fort bas aage: comme aussi entre nous, nostre bon Roy sainct Louys, lequel fort jeune estoit venu à chef de ses ennemis: Que la presence d’ un Roy de quelque aage qu’ il feust, estoit de si grand merite & recommandation envers ses subjects, que deux Roys, l’ un de Macedoine, l’ autre de France, estants en maillot, portez au millieu de leurs armees, les avoient tant encouragees, que deux victoires demourerent de leurs ostez. Que tous Roys, & specialement ceux de France, estoient dés leurs enfances mis en si bonnes mains pour être instruits, qu’ ils s’ advantageoient en peu de tems pardessus tous les autres enfans du commun peuple en bon sens, jugement & conduite.
D’ ailleurs que les grandes & souveraines puissances ayants esté donnees par Dieu, aux Princes, aussi estoit-il à presumer qu’ il leur bailloit un advantage de jugement par dessus tous les autres, & de meilleure heure, pour le maniement & direction de leurs affaires: Pour ces raisons & considerations il vouloit & ordonnoit que sans attendre les vingt & cinq ans prefix par les anciennes loix pour la majorité de nous autres, soudain qu’ un Roy seroit arrivé à l’ aage de quatorze ans, il feust sacré & couronné, comme majeur, & que deslors toutes les affaires de son Royaume se passassent souz son nom & authorité seulement. Cest Edict rehaulsé de tant de belles couleurs, encores feut il authorizé d’ une infinité de Princes & grands Seigneurs, & autres personnages de marque le 21. de May 1375. le Roy seant au Parlement de Paris en son lit de Justice: auquel lieu se trouverent le Dauphin de Viennois son fils aisné, le Duc d’ Anjou son frere, le Patriarche d’ Alexandrie, les Archevesques de Reims & Toulouse, Evesques de Laon, Meaux, Paris, Cornouaille, Auxerre, Neuers, Eureux, les Abbez de S. Denis en France, l’ Estoire, S. Vast, saincte Colombe de Sens, sainct Cyprian & Vendosme: Monsieur le Chancelier de France, celuy du Duc d’ Anjou, le Recteur de l’ Université suivy de plusieurs Docteurs tant en Theologie, que Decret, les Doyen, Chancelier, & Penitentier de l’ Eglise de Paris, & l’ Archidiacre de Brie: Les Comtes d’ Alençon, & de la Marche, Brienne, l’ Isle, de Messires Robert d’ Artois, & Raimond de Beaufort, & encores des Prevost des Marchands, & Eschevins de la ville de Paris: En la presence de tous lesquels Seigneurs feut l’ Edict publié & verifié avec un general aplaudissement de tous: mais entendez quelle en feut la suite.
Le Roy Charles V. mourut le 16. Septembre 1380. delaissez deux enfans masles, Charles & Louys, qui n’ avoient encores attaint l’ aage de quatorze ans. Il avoit trois freres, les Ducs d’ Anjou, de Berry, & de Bourgongne, & un beau frere Duc de Bourbon. Deslors l’ ambition se logea au milieu d’ eux pour le gouvernement du Royaume. Louys Duc d’ Anjou, comme aisné, soustenoit luy appartenir la Regence, le Roy Charles sixiesme son nepueu n’ estant encores arrivé à l’ aage porté par ceste Ordonnance. Les autres n’ y pouvoient condescendre. En ce nouveau contraste, Maistre Jean des Marais, Advocat du Roy en la Cour de Parlement, bon citoyen & zelateur du repos public, se mest de la partie: Remonstrant que quelque Loy, qui eust esté establie, elle se pouvoit changer, ou modifier, pour obvier aux inconvenients, & que le meilleur seroit de passer les choses par amiable composition entre ces Princes. Ce qui feut par eux trouvé bon, & se soubmeirent au jugement & arbitrage de quelques sages Seigneurs: lesquels jurerent sur les sainctes Evangiles d’ en donner leur advis sans passion: & les Princes d’ entretenir en tout & par tout ce qui seroit par eux arbitré. Ces preud’ hommes ayans esté quatre jours ensemblement pour se resoudre, en fin feurent unanimement d’ advis, que l’ Ordonnance de Charles ne pouvoit tellement retarder noz jeunes Rois, qu’ ils ne peussent anticiper sur le terme prefix pour leurs Sacres & Couronnemens: Que pour ceste cause le Roy Charles sixiesme seroit sacré en la ville de Reims sur la fin d’ Octobre (c’ estoit l’ an mil trois cens octante) où tous ses principaux vassaux seroient tenus de se trouver pour luy faire la foy & hommage. Que le fait de la Justice se conduiroit souz son nom & seel. Que les personnes du jeune Roy & de son frere seroient gouvernees par les Ducs de Berry, Bourgongne, & Bourbon, qui les seroient nourrir doucement, instruire & endoctriner en bonnes meurs jusques à ce qu’ ils feussent parvenus à l’ aage de puberté. Et au surplus que toutes les finances tant du domaine, que des Aides seroient mises au tresor du Roy. Mais que pour le regard des meubles, or, argent & joyaux, qui avoient esté delaissez par le feu Roy, ils seroient mis és mains de Louys Duc d’ Anjou, en laissant toutesfois au jeune Roy sa provision competante: Et qu’ à ce Duc demoureroit le nom de Regent, à la charge toutesfois de decider toutes les affaires d’ Estat avec les trois autres Princes. Ceste sentence arbitrale redigee par escrit, feut embrassee par les quatre Princes, avec plusieurs actions de graces renduës aux arbitres de ce qu’ avec une si bonne devotion & diligence, ils avoient assopy les differents qui s’ estoient presentez entre eux. Et combien que par cest advis la dignité de Regent feut grandement ravalee, & reduite au petit pied, toutesfois le Duc d’ Anjou se voyant être esclairé de prés par les trois autres, feit publier au Parlement sa puissance ainsi bornee, le premier jour d’ Octobre, & le quatriesme Novembre, le consentement qu’ il prestoit au Sacre du Roy, conformemment à l’ advis des preud’hommes arbitres. Je diray cecy pour fin de ce chapitre: Que jamais loy ne sembloit avoir esté plus sagement ordonnee que celle de Charles cinquiesme, ny sentence plus politique que celle de ces arbitres, pour parer à l’ ambition des plus grands pendant le soubzaage du Roy, si ne peurent-ils lors garentir nostre France de nouveaux Troubles ainsi que je deduiray plus amplement au cinquiesme livre de ces miennes Recherches. Les Loix de nature sont perpetuelles, & ne peuvent être dementies par nous quelque prudence d’ homme que nous y voulions apporter, pour cuider supleer leur default.
Fin du second livre des Recherches.