3. 16. De l’ ordre que S. Louys apporta pour la manutention des Libertez de nostre Eglise Gallicane.

De l’ ordre que S. Louys apporta pour la manutention des Libertez de nostre Eglise Gallicane.

CHAPITRE XVI.

Depuis la venuë de Capet, jusques à sainct Louys il y avoit eu plusieurs belles Ordonnances, & constitutions Synodales, qui s’ estoient passees en l’ Eglise pour la reformation des vices qui s’ y estoient insinuez soubz la famille des Martels: mesmes par deux Concils tenus dans Rome, en l’ Eglise sainct Jean de Latran, l’ un soubz Alexandre troisiesme, & l’ autre soubz Innocence troisiesme: mais l’ on n’ osoit aucunement toucher aux abus que l’ on voyoit de jour à autre provigner en l’ Eglise Romaine. Car par le Concil de Latran, tenu souz Alexandre, furent faites defences aux Prelats de ne greuer les Curez, & autres Beneficiers inferieurs, en faisant les visitations accoustumees dans leurs Dioceses. Que les Prelats ne pourroient imposer tailles, ou exactions sur le Clergé. Que l’ on ne pourroit appeller aucun à l’ ordre de Prestrise, qu’ il n’ eust tiltre, dont il se peust substanter. Que nul ne pourroit toucher aucun denier pour l’ administration des saincts Sacremens, encor’ que l’ on pretendist être fondé en une ancienne coustume, que l’ on appelloit louable. Defenses de tenir plusieurs Benefices ensemble: Comme pareillement aux gens laiz de pouvoir induëment occuper les dismes, ainsi qu’ ils s’ en estoient faicts croire par le passé. Que pour bannir l’ ignorance, qui lors estoit trop familiere parmy le Clergé, il y avroit en chaque Eglise un Maistre, ou Escolastre destiné pour enseigner gratuitement les bonnes lettres, tant au Clergé, qu’ aux pauvres escoliers de leurs Dioceses. Et en l’ autre Concil de Latran, qui fut tenu souz Innocence, environ soixante ans apres, en renouvellant les anciens Decrets, & Canons, fut enjoinct aux Metropolitains de tenir tous les ans en leurs Provinces, un Concil avecq’ leurs Evesques sufragants, & comprovinciaux, pour reformer les mœurs du Clergé. Et a fin que cela peust être mieux executé, qu’ ils eussent à establir personnes idoines par chaques Dioceses, qui s’ informeroient de la vie, & mœurs des Beneficiers, & autres personnes Ecclesiastiques, & en feroient leurs procés verbaux, qui seroient rapportez aux Concils. Et encores en adjoustant à l’ autre Concil, qu’ il y avroit non seulement un Escolastre, mais aussi un Theologal, & qu’ à chacun d’ eux seroit une prebende affectee en chaque Eglise Cathedrale, pour leur substantation & nourriture. Ce qui seroit aussi exercé és Eglises Collegiales, qui le pourroient porter. Et parce que l’ on craignoit que la devotion de former nouveaux Ordres de Religion ne se tournast petit à petit en abus, defenses furent faictes d’ en plus innover, mais que celuy qui avroit envie de suivre la vie monastique, & solitaire, seroit tenu de se ranger souz la banniere de l’ une des autres Religions, qui avoient esté aprouvees, & authorisees par l’ Eglise. Qui estoient certes constitutions tres sainctes, & faictes à l’ honneur, & exaltation de l’ Estat Ecclesiastic. Mais qui touchast aux abus que l’ on voyoit en Cour de Rome, nul ne l’ osoit entreprendre. D’ autant qu’ en ce dernier Concil de Latran, qui est l’ un des plus solemnels qui jamais fut tenu dans Rome (Car si nous croyons à Platine, s’ y trouverent les Patriarches de Constantinople, & Jerusalem, septante Metropolitains, quatre cens quarante qu’ Evesques, qu’ Abbez, que Prieurs conventuels, sans les Ambassadeurs des Roys de France, Espaigne, Jerusalem, Chipre, & Angleterre) en ce Concil, dy-je, le Pape fut declaré Ordinaire des Ordinaires, comme j’ ay touché ailleurs, avec des prerogatives tres-grandes, mesmes dessus les Patriarches. Ceux qui avoient quelque sentiment en l’ Eglise, croioient diversement selon la diversité des temps, & faisons. Et specialement S. Bernard vertueusement, comme celuy qui avoit receu cest honneur, que le Pape, auquel il escrivoit, avoit esté & son disciple, & l’ un de ses Religieux: mais c’ estoient voix entenduës sans effect, comme il advient assez souvent aux meilleurs prescheurs. Ce nonobstant lors qu’ il sembloit que nous fussions plus eslongnez de tout remede, & au dessouz de toutes affaires, ce fut lors que Dieu miraculeusement permit que l’ on y apportast quelque ordre en ceste France, non par schisme, ou heresie, mais par le plus Catholique Roy que nostre France jamais porté. Ce fut par le Roy S. Louys, lequel attoucha presque du doigt au temps de la Papauté d’ Innocence, qui mourut vers l’ an mil deux cens & seize, & ce Roy fut appellé à la Couronne, l’ an mil deux cens vingt & quatre, ou vingt & six. Cestuy est celuy entre nous autres, qui bastit une infinité d’ Eglises, Monasteres, & Hospitaux: Dans Paris, la saincte Chapelle, les quatre Mendians, l’ Eglise de saincte Croix, les Chartreux, les Blancs Manteaux, les filles Dieu, l’ Hospital des Aueugles, que l’ on appelle quinze vingts, l’ Hostel Dieu: en l’ Evesché de Beauvais, l’ Abbaye de Royaumont, les Hostels Dieu de Compieigne, Pontoise, Vernon, l’ Abbaye sainct Matthieu à Rouen. Donna à nostre saincte Chapelle plusieurs beaux, & riches thresors, la Couronne d’ espines de nostre Seigneur, une partie de la vraye Croix, l’ esponge, le fer de la lance, qui sont les plus beaux joyaux qui soient demourez à noz Roys, & à la conservation desquels ils se doibuent autant & plus estudier qu’ à la conservation de leur Couronne. Et d’ une mesme devotion pour monstrer que tout le but, où il visoit, n’ estoit qu’ à une charité Chrestienne, il n’ employa point ses forces de Chrestien, contre Chrestien, ains encontre les Turcs, & Sarrasins par deux voyages, qu’ il y fit, pour le recouvrement de la terre saincte. Tellement que l’ on luy doit sans controverse donner le premier lieu de Catholique, & Chrestien entre noz anciens Roys. Cestuy de pareille devotion qu’ en toutes les autres actions, voyant comme les Eglises de son Royaume vaguoient en incertitude, pour la grande authorité que la Cour de Rome avoit empietee sur les Ordinaires, s’ estant donné toute prerogative au prejudice tant des élections, que collations, voulut par l’ advis de son Clergé, & des principaux de son Royaume, reduire les choses en leur ancienne dignité, au moins mal qui luy seroit possible: & fit ceste belle Ordonnance que quelques uns appellent la Pragmatique Sanction de sainct Louys, de laquelle nous trouvons la teneur telle au vieux stile du Parlement de Paris. Statuimus & ordinamus, ut Praelati regni nostri, patronique beneficiorum collatores *ins *suum *plenarium habeant, & unicuique sua iurisdictio servetur, insuper Ecclesiae Cathedrales, & aliæ regni nostri, liberas electiones habeant, & earum effectum integraliter prosequantur, promotionesque, collationes, provisiones, & dispositiones praelaturarum, dignitatum, & aliorum quorumcumque beneficiorum Ecclesiasticorum regni nostri secundum ordinationem, & dispositionem iuris communis, sacrorum Ecclesiæ Dei conciliorum, atque institutorum sanctorum Patrum fieri volumus, & ordinamus. Nous voulons (dit-il) & ordonnons que les Prelats de nostre Royaume, & tous Patrons de benefices, & collateurs iouïssent paisiblement de leurs droicts, & qu’ à chacun d’ eux soit gardee sa jurisdiction: pareillement que les Eglises Cathedrales, & autres de nostre Royaume exercent librement leurs elections, & qu’ elles sortissent leur plein & entier effect: Comme aussi les promotions, collations, provisions, & dispositions des prelatures, dignitez, & tous autres benefices Ecclesiastics de nostre Royaume: Le tout selon la disposition de droict commun, & saincts Concils de l’ Eglise, & constitutions de noz bons Peres. Nicolas Gilles en la vie de ce Roy, y a adjousté un article concernant les exactions, & impositions de Cour de Rome sur les benefices, qu’ il defend, & prohibe être faits: suivy en cecy aucunement par maistre Charles du Moulin, l’ un des premiers Jurisconsultes de nostre France, en son traicté des petites Dattes de Rome.

Les Anciens ont dit que celuy qui a bien, & heureusement commencé, a la moitié de l’ accomplissement de son œuvre. Ceste premiere pierre estant de ceste façon jettee pour le restablissement de l’ ancienne dignité de nostre Eglise Gallicane, les passages en furent deen avant beaucoup plus ouverts qu’ ils n’ avoient esté au precedant. Et le temps sembloit en cecy nous conduyre plus aisément par deux nouveaux instrumens, qui s’ establirent en nostre Republique Françoise. Le premier de ces deux est le Parlement qui fut rendu perpetuel dedans la ville de Paris, avec les grandeurs & authoritez que je vous ay representees au second livre de mes Recherches: Auquel noz Roys, qui succederent à sainct Louys, doivent trois, & quatre fois plus qu’ à tous les autres Ordres politics. Et toures & quantesfois que par opinions courtisanes ils se des-uniront des sages conseils & remonstrances de ce grand corps, autant de fois perdront-ils beaucoup du fonds & estoc ancien de leurs majestez, estant leur fortune liee avec ceste compagnie. L’ autre fut l’ Université de Paris, qui commença de poindre quelque peu de temps auparavant le regne de sainct Louys, dans laquelle soubz le mesme Roy avoit esté plantee par Robert de Sorbonne ceste pepiniere de Theologiens, qui depuis apporta une infinité de bien à l’ Eglise: Car ores qu’ elle ait fait un perpetuel vœu & profession de viure souz les reigles de l’ Eglise Catholique Apostolique de Rome, si s’ estudia-elle tousjours à l’ extirpation des abus, aussi bien que des heresies; estant d’ une mesme balance autant ennemie de l’ un que de l’ autre. Et en s’ opposant aux abus, elle pensa grandement vacquer à l’ exaltation du sainct Siege. Et fut la cause pour laquelle Jean de Meun au Roman de la Roze disoit: 

Si ce n’ estoit la bonne garde

De l’ Université qui garde

Le Chef dels Chrestienté

Tout eust esté bien tourmenté.

Et neantmoins il ne faut pas estimer que ce seul coup apporta medecine accomplie. Car le mal avoit pris ses racines de trop loing. Et encores Dieu vouloit affliger son Eglise d’ une grande trainee de maux, qui dura presque cent ou six vingts ans, comme je deduiray cy-apres.