De la distribution des Offices & confirmations d’ iceux à l’ advenement de Roys, Prevostez en garde, ou en ferme, & autres choses de mesme suject.
CHAPITRE XVII.
Quand je voy que sainct Louys par son Ordonnance de l’ an 1256. fit defenses de ne vendre à l’ advenir les Estats de Judicature, j’ infere qu’ au paravant on les vendoit. Car nous n’ usons des medecines que pour purger les maladies. Ces offices estoient les Prevostez, Vicomtez, & Vigueries. Depuis son regne on y apporta nouvelle police: parce que tantost on les bailloit à ferme à certain temps au plus offrant & dernier encherisseur, tantost en garde, selon les opinions de ceux qui gouvernoient les affaires de France. Au premier il y avoit plus de profit, au second plus d’ honneur pour nos Roys. Sous Philippes le Bel, & le Long, ils furent baillez à ferme, sous Philippes de Valois du commencement en garde, puis en l’ an 1349. à ferme. Pendant la prison du Roy Jean en l’ assemblee des trois Estats par Edict du cinquiesme Fevrier 1356. furent telles formes deffenduës, & ordonné que les Prevostez, Vicomtez, & Clergies seroient baillees en garde à la nomination des gens du pays: Edict depuis revoqué par Charles V. l’ an 1366. & les fermes remises sus, a fin d’ avoir moyen d’ acquitter ses debtes. Enjoint aux gens des Comptes de Paris d’ envoyer leurs mandemens par toutes les Provinces, à tous les Baillifs & Receveurs de proceder aux proclamations judiciaires d’ icelles Prevostez, & recevoir les cautions, avec deffences aux Prevosts en garde d’ exercer leurs charges du jour que les baux à ferme seroient faits. Charles VI. remit sus les gardes par son Ordonnance du 29. Octobre 1408. Mais avecques une Religion plus grande que sous ses predecesseurs, voulant que ces Prevostez fussent de rechef baillees en garde, & que l’ on y mist bons & suffisans personnages des lieux & pays, ou plus prochains par bonne & meure election qui s’ en feroit en la Chambre des Comptes de Paris, presens & appellez à ce quelques Seigneurs tant du grand Conseil, que Parlement, & les Thresoriers de France, & qu’ ils leur ordonnassent gages. Ce nonobstant quelques anees apres, je veux dire en l’ an 1415. ce mesme Roy annulla cette Ordonnance. Bref il n’ y eut jamais rien si certain que l’ incertitude en ce fait cy. Les villes affectionnoient les Prevosts en garde, comme ceux qui pour leur preud’homie estoient appellez à cette charge sans bource deslier. Lors que Philippes de Valois remit les habitans de Laon en leurs anciens privileges, en Mars 1331. avecques plusieurs grandes modifications, il leur bailla un Prevost, qui tiendroit son estat en garde, non en ferme: Et sur ce pied les habitans de Bourges obtindrent de Louys XI. privilege le 11. Septembre 1471. par lequel ils n’ avroient de là en avant que des Prevosts en garde dans leur ville: Mot qui estoit encores en usage sous Louys XII. lequel en l’ an 1499. ordonna que les Prevosts en garde seroient eleus aux Auditoires des Bailliages & Seneschaussees. Et de cette ancienneté encores nous reste-il quelque remarque dans nostre ville de Paris, où le Prevost est appellé par les lettres du Roy garde de la Prevosté & Vicomté de Paris. Le mal qui provenoit des fermes fut tel qu’ à la longue nos Roys gratifierent leurs favoris à bon compte des Prevostez, Vicomtez, & Vigueries, lesquelles ils rebailloient puis apres à des sous fermiers cherement: Et de cela nous voyons tout le regne de Louys XI. plain, dedans nos Registres de la Chambre des Comptes, comme Prince qui se laissoit fort aisément aller à la mercy de ses volontez absoluës. Voila le mesnage que l’ on observa plusieurs ans aux Prevostez, Vigueries, & Vicomtez: Car quant aux autres estats on ne sçavoit que c’ estoit de les vendre ou donner à ferme.
Les Baillifs & Seneschaux estoient du commencement comme simples Commissaires que le Roy envoyoit par les Provinces, pour s’ informer des deportemens des Prevosts, Vicomtes, & Viguiers, & en faire leur rapport au Parlement & Conseil du Roy. Depuis on les y establit par forme d’ Officiers en tiltre, mais non à perpetuité, ains à certain temps & tant qu’ il plaisoit à nos Roys, & c’ est pourquoy par nos anciennes Ordonnances on leur deffendit de se marier ou faire aucunes acquisitions en & au dedans de leurs Baillies (ainsi appelloit-on les Bailliages) tant & si longuement qu’ ils seroient en telles charges. On ne peut dire que lors ces Estats fussent venaux, non plus que de leurs Lieutenans, qui n’ estoient point creez en titre d’ Offices, ains se faisoient par le choix & option des Baillifs, comme l’ on aprend des Ordonnances de Philippes le Bel 1302. de Charles cinquiesme Regent 1356. & de Charles sixiesme 1388. Comme aussi estoient les Sergens faits par les Baillifs & pareillement les Notaires, quelque temps apres qu’ ils se furent separez des Tabellions. Ainsi voyons nous que Philippes le Bel veut que le nombre effrené des Sergens soit reduit de vingt à quatre: & que si l’ un d’ eux meurt les Baillifs, en surrogent un autre à leurs perils & fortunes: & tout d’ une suitte il leur deffend de creer nouveaux Notaires, pour le grand nombre qui estoit lors. Car quant aux Thresoriers de France ils exerçoient leurs Estats par forme de Commissions quelques anees seulement, selon qu’ il plaisoit à nos Roys. Et les Receptes du Domaine s’ exerçoient ordinairement par les Baillifs & Seneschaux, & aux lieux où il y avoit Receveurs du Domaine, qui n’ estoient Baillifs, la Chambre des Comptes de Paris y pourvoyoit: Authorité qui luy fut ostee par Philippes de Valois, puis renduë par Charles sixiesme. Pour le regard des Generaux sur le faict des Finances c’ estoient Offices populaires qui se creoyent du commencement par l’ advis des trois Estats, dés & depuis le regne du Roy Jean, lors que les Tailles, Aydes, & subsides commencerent d’ avoir cours en France, lesquels estoient confirmez par les Roys, & depuis cette authorité estant transmise en eux, encores n’ estoient ils commis en l’ exercice de telle charge qu’ à certain temps: & qui est grandement à noter, par eux estoient commis les Eleus, Grenetiers, Controlleurs du sel, Receveurs & Sergens des Tailles: tous lesquels ils pouvoient instituer & destituer. Quant aux Parlemens, bien qu’ ils eussent esté faits Sedentaires, l’ un dans Paris, l’ autre dans Tholoze, si ne siegeoient-ils que deux fois l’ an, & au renouvellement des Parlemens d’ an en an, aussi renouvelloit-on fort souvent les Conseillers.
Tellement que presque tous les Offices, horsmis des Prevosts, Vicomtes, & Viguiers, s’ exerçoient plus par forme de Commission, que de tiltre. Qui fut cause que nos Roys avoient accoustumé d’ inserer dans leurs lettres, pour en iouyr tant qu’ il nous plaira. Clause qui n’ estoit lors trouvee de mauvais exemple, & que je voy souvent avoir esté mise en usage sous l’ entre regne des Anglois dans Paris. Et depuis les Estats estans creez en titre d’ Office, encores l’ y adjouste l’ on suivant les anciennes traces: Et sur ce pied le Roy Louys unziesme se licentia de desapointer tous ceux qu’ il luy plaisoit sans acception de personnes. Qui occasionna la Cour de Parlement de luy en faire remonstrances. De maniere que par Edict du vingt deuxiesme Octobre 1467. verifié au Parlement le 23. & en la Chambre des Comptes le 24. Novembre il fut ordonné que nonobstant cette clause nul Estat ne vacqueroit, si ce n’ estoit par mort, resignation ou forfaiture.
Aussi de cette mesme ancienneté prit son origine la confirmation des Offices apres le decez de nos Roys. Car comme ainsi fust que les Offices ne fussent baillez que sous leur bon plaisir. Aussi ceux qui leur succedoient à la Couronne ne pensoient estre obligez de maintenir les anciens Officiers s’ il ne leur plaisoit: Tellement que vous verrez apres la mort d’ un Roy estre faite mention expresse des Conseillers que l’ on trioit pour demeurer en l’ exercice de leurs Estats. Cela fut cause que nous eusmes recours pour la confirmation de nos Offices aux Roys nouvellement appellez à la Couronne, & le premier sous lequel je trouve cette coustume avoir eu lieu, fut Charles V. Ses lettres patentes par lesquelles il confirma aux gens tenans le Parlement, Enquestes, Comptes, Thresoriers Generaux, sont du 17. Avril 1364.
Cela ainsi pratiqué entre nous, l’ avoit esté pareillement dedans Rome, & paraventure ne sera hors de propos, d’ en ramentevoir icy la memoire. Suetone en la vie de l’ Empereur Titus. Cum ex instituto Tiberij omnes de hinc Caesares, beneficia à superioribus concessa, aliter rata non haberent, quam si eadem iisdem & ipsi dedissent, Primus Titus praeterita omnia uno confirmavit edicto, nec à se peti passus est. Et dedans le 10. des Epistres de Pline: Extat edictum Divi Nervae confirmantis beneficia à Domitiano concessa. Aurelius Victor en la vie du mesme Nerva: Cum donata, concessa-ve à prioribus principibus firmare insequentes solerent, simul ac imperium coepit, possidentibus edicto sponte cavit. Et inde etiam nunc in more propositum est omnium gentium ferè, ut mortuo principe, à successore eius, initio principatus, immunitates, beneficia, privilegia, honores superiorum confirmentur, petentibus cum privatis, tum civitatibus, collegiis, corporibus, societatibus, non petentibus adimantur, nisi benignè Princeps praeveniat petitionem: Tous ces passages ne se rapportent pas proprement aux offices (ausquels les Romains observoient un autre ordre en police que nous) ains aux privileges & octroys des Empereurs tant envers les particuliers que communautez. Toutesfois cecy estant une image de ce qui fut depuis faict par nos Roys en matiere d’ office, je l’ ay voulu icy inserer: Comme aussi est-ce la verité que ce qui se pratiquoit par les Romains en la confirmation des actions, se pratique aussi en la France par nos Roys.
Mais pour reprendre mes premiers arrhemens de la venalité des Estats, par Ordonnance du vingt & septiesme Fevrier mil trois cens cinquante cinq, de Charles cinquiesme lors Regent, sur la reformation du nombre des Officiers de la France, il fut par expres ordonné que les maistres & les Clercs de la chambre des Comptes, Thresoriers, maistres des Monnoyes, Receveurs, & autres Officiers qui regardoient le faict des Comptes, ou des Finances, seroient mis par le Roy en son Conseil, & le semblable fut il ordonné pour Messieurs de la Cour de Parlement & des Requestes, Baillifs, Seneschaux, & autres Ministres du fait de Justice. Quand il parle des Receveurs, il entend des Receveurs du Domaine, parce que les Receveurs des Aydes n’ estoient encores erigez en tiltres formez: Et depuis sous Charles sixiesme, par Edict de l’ an mil trois cens octante & huict, il fut ordonné que les Baillifs, Seneschaux, & Prevosts, & autres Juges seroient eleus & instituez par deliberation de son grand Conseil: Edict qui ne fut observé pour les Prevosts, comme dict a esté cy-dessus. Lors de cet Edict les Baillifs & Seneschaux n’ estoient encor perpetuels, ains annuels, quoy que soit à certain temps. D’ autant que par le mesme Edict il veut qu’ apres que leurs charges seront finies, ils demeurent quarante jours sur les lieux, pour respondre devant leurs successeurs des plaintes que le peuple voudroit proposer encontre eux. Par autre Edict du mesme an il voulut qu’ advenant vacation d’ Advocat ou Procureur du Roy d’ un Bailliage, on y procedast par election aux Sieges, serment avant toute œuvre faict sur les Sainctes Evangiles, & que l’ on luy en nommast deux ou trois des plus idoines & suffisans, pour gratifier celuy que bon luy sembleroit. Par Edict du septiesme Janvier mil quatre cens quatre, publié en la Chambre des Comptes le vingt neuf Octobre mil quatre cens huict en la presence du Roy de Sicile, Ducs de Berry, Bourbonnois & autres grands Seigneurs du grand Conseil, il fut ordonné que les Eleuz & Receveurs des Aydes seroient pris & faicts de bons Bourgeois, riches hommes, & preud’hommes, & qu’ ils seroient creés non seulement par l’ Ordonnance de trois Generaux des Finances, mais aussi par le conseil des gens de la Chambre des Comptes: Et le semblable seroit fait des Grenetiers & Controlleurs à sel. Et qu’ en cas semblable les Receveurs du Domaine seroient pris & eleus de bonnes personnes suffisantes & bien resseantes, & que si faire se pouvoit, ils seroient pris des pays où s’ exerçoient leurs receptes, a fin qu’ ils fussent mieux contens de leurs gages sans aucuns dons, & seroient eleus par gens des Comptes & Thresoriers. Par la mesme Ordonnance, il est dit qu’ il n’ y avroit que quatre Maistres des Monnoyes, ceux qui estoient les plus anciens, suffisans, & mieux cognoissans au fait des Monnoyes. Et au regard de la Cour de Parlement, que quand les lieux des Presidens & des autres gens de son Parlement vacqueroient, le Chancelier se transporteroit au Parlement, & qu’ en sa presence il seroit procedé à l’ election d’ hommes suffifans: & que l’ on y mettroit principalement des Nobles hommes qui se trouveroient suffisans, mesmes qu’ on les choisiroit, si faire se pouvoit de tous les pays du Royaume, pour ce que les coustumes estoient diverses, & a fin que de chaque Province y eust gens qui peussent respondre. Le semblable fut-il ordonné pour ceux des Comptes: & au surplus qu’ il fust pourveu aux Seneschaux & Baillifs par le Chancelier en la Cour de Parlement, & que les Prevostez seroient baillees en garde à notables personnages de lieux & des plus prochains par bonne election des gens de la Chambre des Comptes, appellez avecques eux quelques Seigneurs du Conseil. Et finalement est deffendu à tous Officiers du Roy de ne vendre par resignation leurs Offices tant de Judicature, que de Recepte.
Voila le plus solemnel Edict qui ait esté pour la distribution des Offices, tant de Judicature, qu’ autres: Et depuis je voy les Elections avoir esté fort frequentes, tant au Parlement que Chambre des Comptes, combien qu’ en tout le demeurant les affaires de France fussent infiniment broüillees, & adjousteray comme chose que l’ on recueille des Registres de la Cour de Parlement, qu’ auparavant les elections y avoient eu quelquesfois lieu. Le dixseptiesme Septembre 1400. le Roy Charles sixiesme nomme dix Conseillers à la Cour de Parlement, & luy mande qu’ elle choisisse le plus capable. Et maistre Nicole Baye l’ un des plus dignes Greffiers qui fut jamais au Parlement fut eleu Greffier le dixseptiesme Novembre ensuivant, par le scrutin tant des seigneurs du Parlement, que du grand Conseil, où se trouverent quatre vingt personnes: En cas semblable Messire Jean de Popincourt premier President estant allé de vie à trespas, & maistre Henry de Merle troisiesme ayant esté pourveu en son lieu par lettres du deuxiesme de May mil quatre cens trois, par le Roy, il declara n’ en vouloir user, sinon de tant que la Cour l’ eust pour agreable. Et y vint le Chancelier, és mains duquel s’ opposa Lochet second President, sur quoy le Chancelier dist que le Roy vouloit qu’ on eleust de Merle: Attendu le grand aage & indisposition de Lochet: Et pource que les Conseillers ne vouloient elire publiquement, ils se retirerent l’ un apres l’ autre, pres du Chancelier, & fut eleu de Merle, & au lieu de luy maistre Jacques de Tailly President des Requestes. Le douziesme jour de Novembre mil quatre cens quatre fut ordonné, que combien que le Roy eust donné l’ Office de Greffier Criminel, toutesfois qu’ il seroit passé outre à l’ election: Et le lendemain fut eleu du Boys, presens les Advocats & Procureur du Roy, & le sieur Roman aussi eleu Conseiller. Cela fut fait auparavant l’ Edict de l’ an mil quatre cens huict. Depuis lequel les elections eurent tres-grande vogue. L’ an 1409. Maistre Simon de Nanterre Conseiller & Controlleur de la Chancellerie est eleu President, & en son lieu Maistre Jean de la Marche, à la charge qu’ il se déferoit de l’ Estat de Controlleur. L’ unziesme Decembre mil quatre cens dix, election de plusieurs Conseillers des Enquestes, laquelle avoit esté retardee, par ce que les Nobles soustenoient qu’ on devoit premier elire des Nobles, quand ils se trouveroient suffisans. Chose qui prit depuis plus long traict. Car comme ainsi fust que l’ on eust procedé à l’ election de quelque personne de condition roturiere, Milon fut receu Conseiller le 23. Avril, combien qu’ il n’ eust esté esleu, nonobstant l’ opinion de l’ esleu & des gens du Roy, attendu sa Noblesse & sa suffisance & vertu. Pour lesquelles considerations le Roy vouloit qu’ il fust receu. Vray qu’ en ces Elections les Princes y voulurent quelquesfois apporter du leur au prejudice de l’ ordonnance: Car comme l’ on procedoit à l’ election de deux Conseillers, il y en eut deux qui furent esleus à la solicitation de Louys Duc de Guyenne & Dauphin, Maistre Thibaut de Vitry, & Adam de Cambray, signamment fut esleu Cambray au lieu de Servilly, nonobstant la resignation qu’ il avoit faite au profit de maistre Guillaume Caly. Et le 27. Fevrier procedans à l’ election du Procureur General au lieu du decedé un Secretaire du Duc de Bourgongne vint dire que monsieur le Dauphin vouloit que cette election se fist au Conseil, vers lequel quelques seigneurs du Parlement furent deleguez pour luy faire remonstrances. Il ordonna que l’ election fust apportee au Conseil. Quelques Parisiens briguoient pour faire elire un jeune Advocat nommé Rapouel: toutesfois l’ authorité du Parlement gaigna lors, & fut eleu maistre Jean Aigue-vin. Mais plus solemnelle fut l’ election du Chancelier, au lieu de messire Eustache de Laistre, lequel l’ avoit esté par les factions & menees du Duc de Bourgongne, au lieu de Messire Arnault de Corbie, qui avoit dignement exercé cet Estat l’ espace de 25 ans, & estoit lors aagé d’ octante huict ans. Iceluy de Laistre creature du Bourguignon, s’ estant avec luy retiré de Paris, l’ on trouve que le 8. d’ Aoust 1413. le Roy Charles VI. apres sa Messe entra en la Chambre du Conseil: là où de Merle premier President eut vingt-huict voix, Nanterre vingt, maistre Jean de Saux six, messire Arnault de Corbie dix-huict, & eust eu toutes les voix s’ il eust encores voulu exercer. Au moyen dequoy de Merle fut fait Chancelier. & de là procedant à l’ election du premier President, Mauger eut vingt-huict voix, Nanterre dix-sept, Juvenal des Ursins Advocat du Roy une. Buffier 17. Quatremars 15. Bailly 14. Longueil 9. Guillier une, Marchand une, le Sueur une: Et le quatorziesme du mois cette Election presentee au Roy, il commanda que l’ on depeschast des lettres de provision à Mauger, & touchant le quart, parce que le Bailly avoit moins de quatre voix que Buffier & Nanterre, le Roy, le Dauphin, le Seigneur de Fay, & autres seigneurs du Conseil luy donnerent leurs voix, par le moyen dequoy il fut pourveu de l’ Office. C’ estoit une sophistiquerie que les courtisans firent apporter aux Elections, mais en laquelle il y avoit je ne sçay quoy de crainte, pour ne vouloir à face ouverte enfraindre cette police d’ Election.
En cette façon se traictoient les Elections en la Cour de Parlement: & encores que dedans la Chambre des Comptes je n’ y voye une diligence si continuë, si est-ce que je les voy avoir abhorré la vente de leurs Estats, voire dés auparavant l’ Edict de l’ an 1408. Par ce que les Thresoriers de France ayans esté interdits par lettres de l’ unziesme de Juin mil quatre cens trois, verifiees en la Chambre le 16. sur une bonne opinion que le Roy avoit euë de reduire ces Offices à deux, ainsi que d’ ancienneté: comme de faict apres cette suspension Gontier Col, & André Moulin furent commis à cette charge: Ce neantmoins Raoul d’ Augueton-ville, Jean de la Cloche, qui estoient de ceux que l’ on avoit interdicts, se firent restablir moyennant la somme de cinq mil liures, leurs lettres presentees à la Chambre, avec recommandations de l’ Evesque de Chartres President, qui disoit avoir receu commandement tres-expres des Ducs de Berry & de Bourgongne de les faire recevoir, pour avoir touché ces deniers qu’ il falloit lors promptement deliurer à certains soldats du pays de Galles, & encores fut envoyé un Seigneur, pour faire de la part de ces deux Princes nouvelle recharge. Toutesfois la Chambre refusa d’ y entrer, & delegua quelques maistres pour remonstrer, que cette ouverture de financer deniers pour des Estats estoit de tres-pernicieuse consequence, & que pour une petite somme on corrompoit l’ Ordre general de la France. Cette cause fut long temps promenee, mais comme les grands Princes s’ en font souvent croire bon gré mal gré les compagnies, en fin Augueton-ville, & la Cloche furent receus. Mais sur tout est fort recommandable un autre exemple de la mesme Chambre, pour monstrer combien elle eut en honneur la vendition des Offices. Le septiesme Septembre 1372. il vint à sa cognoissance qu’ au mois de Mars 1366. Messire Amaulry de Condé, & Messire Jean Blanchet Prestres avoient ensemble traicté pour un Estat d’ Auditeur des Comptes, & que Blanchet avoit promis à Condé pour la resignation de cest Office, de luy payer six queües de vin, & soixante liures tous les ans. Il y avoit six ans entiers que Blanchet avoit esté receu à l’ exercice de cest Estat par la Chambre, qui ne sçavoit rien de cette paction: mais soudain qu’ elle en fut advertie, elle les mande, & apres les avoir ouys, le procés prenant traict, Condé qui produisit unes lettres du Roy, du I. d’ Aoust *1371. qui estoit 4. ans & demy apres la resignation, par lesquelles le Roy declaroit avoir pour agreables icelles promesses. Finalement le tout veu, & à ce appellez plusieurs Seigneurs du Parlement, & du Conseil, en presence du Chancelier, & les Advocats, & Procureur general du Roy de la Cour de Parlement ouys, il fut dit que Messire Jean Blanchet rendroit les clefs qu’ il avoit de la Chambre, lesquelles suivant le commandement qui en fut fait, il rendit, & mist sur le Bureau, defences à luy de venir plus à la Chambre, & ordonné que les lettres obligatoires entre eux passees demeureroient en icelle Chambre, cassees & annullees, & defences à Messire Amaulry de Condé de s’ en pouvoir aider. Arrest certes digne d’ estre solemnisé tant pour la grande, & notable compagnie, qui s’ y trouva, que pour avoir destitué un Auditeur, apres avoir exercé six ans ceste charge, soudain que l’ on fut adverty de la malefaçon. Et tout cela long temps auparavant le reglement de l’ an 1408.
Voyant le grand chaos qui fut introduit en la France, & specialement dans la ville de Paris, lors qu’ elle fut nuictamment surprise par l’ Isle-Adam en l’ an 1417. j’ estimois que dedans les massacres qui lors advindrent, eust esté ensevelie la discipline des elections, toutesfois la Cour de Parlement pour cela ne ravalla rien de son authorité. Parce qu’ en ce mesme an se meut une question en icelle sur l’ election d’ un President des Enquestes. Les aucuns estans d’ advis que l’ on pouvoit nommer un homme Lay, les autres que cest Estat estoit affecté au Clerc. Sur quoy ayant esté conclud pour le Clerc, le lendemain 20. Aoust, fut esleu Vivian: & le 14. Octobre, sur ce que deux Chevaliers vindrent au Parlement pour faire recevoir un qui avoit esté pourveu par le Roy d’ une Conseillerie, leur fut respondu que la cour avoit accoustumé d’ y proceder par election: & que quand ce viendroit à eslire, on y avroit esgard pour l’ honneur que l’ on portoit au Roy, & au Duc de Bourgongne qui le desiroient: Et à peu dire, je voy la continuation des elections avoir esté jusques à l’ alliance qui fut faite avec l’ Anglois, par le mariage de Henry cinquiesme Roy d’ Angleterre, avec Catherine de France, fille du Roy Charles sixiesme: Parce que depuis elles ne furent plus observees, ains les provisions qui se faisoient par eux tant és Estats de Judicature, qu’ autres, portoient d’ ordinaire que c’ estoit tant qu’ il plairoit au Roy. Et depuis la regle generale que l’ on y observa assez long temps fut d’ en nommer trois au Roy, les Chambres estans assemblees, a fin d’ en estre par luy pourveu ainsi qu’ il verroit bon de faire. Neantmoins encores cela se tourna quelques fois en fraude. Car un enfant de bonne maison, se trouvant foible de suffisance, se faisoit nommer par la Cour, & obtenant lettres de provision, il n’ estoit tenu ny à l’ examen de la Cour, ny à l’ information de sa vie, & mœurs, depuis introduite par l’ Ordonnance de Louys douziesme.
Au demeurant, tout ainsi que ces elections furent approuvees aux Cours souveraines, aussi avoient-elles lieu aux jurisdictions subalternes. Maistre Jean de Clamecy, maistre des Comptes fut esleu Prevost de Paris par le Chancelier, & plusieurs tant du grand Conseil, que du Parlement, & des Comptes: le tout en assemblee faite en la Chambre des Comptes le dixiesme Mars mil quatre cens dix-huict. Et le huictiesme Octobre ensuivant election d’ un autre Prevost par la demission de Clamecy: Et le vingt & sixiesme jour d’ Avril mil quatre cent dix-hiuct, le Chancelier blasma fort la Cour de Parlement de ce qu’ elle n’ avoit point pourveu à l’ Office de Lieutenant Criminel depuis la mort du dernier decedé. Chose qui avoit causé plusieurs maux dedans la ville de Paris: Pour à quoy pourvoir, au mois de Novembre fut commis un Conseiller de la Cour pour exercer cette charge. Nos Roys ayans depuis remis sous leur puissance & authorité les provisions des Lieutenans, des Baillifs & Seneschaux, encores voulurent-ils que ces Offices se conferassent par elections qui se feroient aux Bailliages, & Seneschaussees. Par l’ ordonnance de Louys douziesme de l’ an 1499. article 47. Nous ordonnons que l’ election des Lieutenans, des Baillifs, Seneschaux, & autres nos Juges se fera en l’ Auditoire desdits sieges, appellez nos Baillifs, Seneschaux, & autres nos Officiers dedans quinze jours apres les vacations desdits Offices, si nos Baillifs, Seneschaux, ou Juges estoient presens, ou s’ ils estoient absens dedans un mois apres. Depuis le mesme Roy y apporta quelque limitation: Car par son Edict de l’ an 1512. voulut qu’ en chaque siege l’ on en nommast trois des plus idoines, a fin que la nomination faite il peust en gratifier celuy de trois qu’ il luy plairoit. Ordonnance que l’ on voulut ramener en usage par l’ Edict d’ Orleans, sous Charles IX. par l’ advis des trois Estats: mais avec les Officiers du Siege, on vouloit que les Maires, Eschevins, Consuls, & Capitoux des villes y fussent aussi appellez. Charles VII. par son Edict de l’ an 1453. art. 104. ordonna que les Baillifs & Seneschaux, avant que d’ entrer en l’ exercice de leurs charges fussent tenus de prester le serment és Cours de Parlement: Et Charles IX. à Moulins 1566. article 12. & Henry III. aux Estats tenus à Blois, articles 263. & 264. Que nul ne fust pourveu d’ Estats de Baillifs, & Seneschaux des Provinces, qu’ il ne fust de robbe courte, Gentilhomme de nom & d’ armes, aagé de trente ans pour le moins, & qui auparavant n’ eust commandé en l’ Estat de Capitaine, Lieutenant, Enseigne, ou Guidon des gendarmes des Ordonnances, lesquels offices ne pourroient estre vendus directement sur les peines des Ordonnances: Mais tous ces derniers Edicts ont esté Edicts de parade sans effect. Car jamais la venalité des Estats ne fut en si grand desbord, comme sous le regne de Henry III.
Nicolas Gilles, qui fut sous le regne de Louys XII. nous apprend que ce Roy fut le premier qui exposa les Estats en vente, en quoy il s’ abuse, parce que Philippes de Commines dans ses Memoires, detestant l’ ambition des Parisiens, dit que de son temps il y avoit tel Estat sans gages dans Paris, qui se vendoit quinze & seize cens escus. Toutesfois il se peut faire que sous Louys douziesme cette venalité fut plus en usage. Ce Roy, comme il estoit du tout adonné au soulagement de son pauvre peuple, estima qu’ il ne le pouvoit mieux soulager, que de mettre une taille sur l’ ambition des plus riches, en achetant les Estats, ne s’ advisant pas toutesfois de la consequence. Aussi est-ce la verité qu’ il s’ en repentit puis apres. D’ autant que par son Ordonnance de l’ an 1493. il declara tous les congez, & privileges qu’ il avoit octroyez de vendre ses offices, estre nuls, & n’ entendre deroger aux Ordonnances sur ce faictes par ses devanciers, ains que telles lettres fussent estimees avoir esté obtenuës par importunitez, ou autrement induëment: Tellement que si par surprises elles se trouvoient avoir esté seellees, il n’ entendoit qu’ elles fussent enterinees és Cours de Parlement, ou ailleurs. Ce fut luy qui ordonna que quand il pourvoiroit à un office de President, ou de Conseiller, la Cour de Parlement eust à proceder à l’ examen, & inquisition tant sur la vie, & mœurs, que sur le sçavoir de celuy qui estoit pourveu. Auparavant il ne falloit point les interroger sur ces particularitez. Car estans esleuz par commun suffrage de la Cour, ils estoient assez approuvez, & n’ y restoit que la provision du Prince.
La necessité, ou, pour mieux dire, l’ injustice du temps a depuis fait passer toutes ces loix par oubliance. Car là où uns Charles sept & huictiesme s’ estoient voulu imposer loy expresse de ne vendre en aucune façon les Estats, la subtilité de ceux qui voulurent subvenir au deffroy des guerres, apporta explication à toutes ces bonnes ordonnances, disans que le commerce des Estats estoit defendu de privé à privé, mais loisible au Prince de les vendre, ny plus, ny moins que par es loix anciennes de Rome il estoit permis, pour monter aux honneurs promettre, ou donner quelque chose à la Republique. Ce qui ne se pouvoit faire entre les personnes privees sans forfaire contre la loy qui estoit publiee contre les ambitieux: Le premier qui à face ouverte se dispensa de les vendre, fut François premier, qui pour cette cause inventa plusieurs Estats nouveaux pour faire fonds de deniers. Aussi est il celuy qui meit sus en l’ an mil cinq cens vingt & deux, le Thresorier des parties casuelles, incogneu à tous ses predecesseurs. Le second qui le passa d’ un long entreject, fut Henry second, & au Roy Henry troisiesme, la France doit le desbordement general: car il seroit impossible de dire en combien de façons il fut en cet endroict ingenieux à la ruine de soy & de son Estat. Or combien que tous ces Estats soient notoirement venaux, non seulement de la part du Prince, mais de particulier à particulier: Toutesfois au milieu de cette calamité, n’ estant resté à la Cour de Parlement, qu’ une esperance de revoir quelque jour le siecle d’ or, auquel les Estats se donnoient au poids de la vertu, non de l’ argent, toutes & quantes-fois qu’ elle reçoit un Conseiller, ou autre Officier de judicature, elle prend de luy le serment, sçavoir si pour obtenir l’ Estat, il a baillé, ou fait bailler deniers à son resignant, & n’ y a celuy qui ne jure n’ en avoir baillé, encores que notoirement on sçache le contraire. Tellement que tombans d’ une fievre tierce en chaud mal, pour tout le fruict de cette belle ancienneté, ne nous reste que le parjure dont nous salüons quelquesfois la compagnie, avant que d’ entrer en l’ exercice de nos Estats. Chose qui m’ occasionna autres-fois de faire cet Epigramme, au premier Livre de mes Epigrammes Latins.
Nulla Magistratus vaenales vidit auorum
AEtas, qui parteis iudicis obtineant.
Quosque cooptabat Rex in consortia Patrum,
Iurabant nullo rem sibi mancipio.
Sed tamen hic nostris usus descivit ab annis,
Prostat & argento plurimus emptus honos.
Nec reliqui est, quam quod, qui prensat, iurat honorem,
Addicta nullum prostituisse manu.
Connivet tacitis oculis amplissimus ordo,
Quod sibi restitui tempora prisca velit.
Aspice quid speres à Iudice, limine in ipso
Quem non ulla Dei vox metuenda ferit.