2. 15. Nobles, Gendarmes, Roturiers, Vilains, Chevaliers, Armoiries de France,

Des Nobles, Gendarmes, Roturiers, Vilains, Chevaliers, Armoiries de France, & plusieurs autres choses de mesme subject, concernants la Noblesse de France

CHAPITRE XV. 

Depuis que les premiers & anciens ordres des Fiefs furent de ceste façon alterez, par la passion induë & irreguliere qu’ en voulurent prendre les non Nobles: & que nos Roys, d’ un autre costé, eurent introduit parmy le peuple, les Tailles sur les personnes roturieres, chacun commença deslors, selon son possible à faire estat de la Noblesse, non toutesfois fondee sur les Fiefs. Car nos Rois voyans que plusieurs cazaniers & bourgeois, qui ne faisoient estat des guerres, les possedoient par importunitez, ne voulurent prendre cela en payement, mais ordonnerent que les Tailles fussent imposees sur tous hommes qui seroient de qualité roturiere. Tellement qu’ il pouvoit advenir qu’ un homme qui possedast plusieurs Fiefs, se trouvast toutesfois taillable, pour autant qu’ il estoit roturier & au contraire, que celuy qui avoit tous ses heritages en censive, en fust exempt parce qu’ il estoit de condition Noble. Pour ceste cause les plus riches commencerent à obtenir lettres d’ Ennoblissement de nos Roys, ou bien de fonder leur Noblesse sur l’ ancienneté de leur race (paraventure non cogneuë, pour avoir changé de pays) verifians que leurs ancestres avoient toujours vescu noblement, sans être cottisez à la taille, & sans exercer aucun estat de marchandise. L’ on recite qu’ entre les loix que Licurge establit aux Lacedemoniens, il y en eut une principalement par laquelle tous mestiers & arts mecaniques furent delaissez aux serfs & aux estrangers, qui ne iouyssoient du privilege de Bourgeoisie, mettant és mains de ses citoyens & gens libres, seulement l’ escu & la lance, & leur interdisant toutes autres communes industries: voire les marchandises & trafiques dont és autres Republiques le commun peuple fait plus grand fonds: pourautant qu’ il estimoit que telles vacations devoient appartenir aux esclaves, & autres telles manieres de gens, sur lesquels il ne vouloit employer la severité de ses loix. Le semblable avons nous gardé religieusement en ceste France, entre les Nobles. Tenans non seulement pour chose indigne d’ une Noblesse, mais aussi être fait acte derogeant au privilege d’ icelle, lors que l’ on en trouve aucun, au lieu de l’ estat de la guerre exercer un estat mechanique, ou bien faire train d’ une marchandise, c’ est à sçavoir en acheptant quelques denrees, pour puis apres les debiter à son profit: car des choses qui nous sont prouenuës de nostre creu, le commerce ne nous en fut oncques defendu. Tant est demeuree recommandee entre nous ceste vieille impression des armes, sur laquelle nos premiers François establirent le fondement de leur Noblesse. Tellement qu’ encores que depuis que les loix de chiquaneries furent esparces par la France, plusieurs gens de Justice & de robe longue, commencerent à prendre dedans leurs familles ceste qualité de Nobles, pour les grands estats qu’ avoient exercé leurs ancestres, si est-ce que non seulement par les suffrages des Courtizans, mais aussi par la voix commune du peuple, ceste Noblesse fut estimee comme bastarde. Parce que tels personnages ne font profession des armes. Et pour ceste raison ceux qui se veulent dire estre à bonnes enseignes Nobles, laissent les villes, pour choisir leurs demeures aux champs. Tant à l’ occasion de ce que la plus grand’ partie de nos Fiefs y sont assis, lesquels, comme j’ ay deduit cy dessus, il estoit seulement permis aux Nobles & gens suivans les armes de posseder, qu’ aussi que par ce moyen ils pensent se garentir de toutes opinions que l’ on pourroit avoir d’ eux, qu’ ils pratiquassent ou trafiquassent dans une ville: chose qui obcurciroit (ce leur sembleroit) la lumiere de leur Noblesse. J’ ay leu dans Hugues de Bercy Poëte François, qui florit vers le temps de S. Louis, quelques vers, par lesquels il se complaignoit que de son temps les Princes & grands Seigneurs commençoient d’ abandonner les villes pour choisir leur residence aux champs.

Mais li Roy, li Duc, & li Comte,

Aux grandes festes font grand honte

Qu’ ils n’ aiment mais Palais ne Salles,

En ordes maisons & en Salles

Se reponent, & en bocages,

Lor cours ert pauvres & umbrages, 

Or fayent-ils les bonnes villes. 

Cela advint paraventure lors que les Bourgeois, pour contretrancher des Nobles, commencerent d’ avoir permission de posseder Fiefs: A fin que l’ on dicernast celuy, qui au prix de son sang, & non au prix d’ argent gagneroit ce degré de Noblesse. Car aussi, à bien dire, entre toutes les vies qui approchent plus pres de la militaire, en temps de paix, c’ est la champestre. A cause dequoy nous lisons que les bons vieux peres & preud’ hommes Romains, comme Cincinat & autres personnages de tel calibre, estoient appellez de leur charruë aux armes, & des armes s’ en retournoient à leur charruë. Ainsi nos Gentils-hommes, qui establissent le principal point de leur Noblesse sur les armes, s’ endurcissans aux champs, au travail, appellerent Villains, ceux qui habitoient mollement dedans les villes, dont s’ est depuis faite une distinction generale des estats entre nous. Les uns estans appellez Gentils-hommes, qui sont les Nobles, & les autres Villains, qui sont de condition Roturiere. Comme si ce fussent choses incompatibles d’ être Noble, & faire sa reseance és villes, esquelles on vivoit en delices & oysiueté: mesmement s’ il advient que nous appellions quelqu’ un Gentil-homme de ville, c’ est par forme de risee & mocquerie. Quant à moy je ne me suis point icy proposé de vilipender les estats de ceux qui suivent la robbe longue, ny generalement de ceux qui se sont habituez és villes clauses: Car en ce faisant seroy-je traistre & prevaricateur contre moy-mesmes. Aussi sçay-je bien que tout homme en tout estat, qui fait profession de vertu & de vie sans reproche, est Noble, sans exception: toutesfois si en une Republique, c’ est chose du tout necessaire de faire degrez des ordres, & mesmement qu’ il soit requis de gratifier davantage aux hommes qui se rendent plus meritoires, a fin qu’ à leur exemple chacun soit induit à bien faire, je ne seray jamais jaloux ny marry, qu’ à ceux qui exposent leur vie pour le salut de nous tous, soit attribué le tiltre de Noble, plustost qu’ à ceux qui dedans leurs Palais, à leurs aises, se disent vacquer au bien des affaires d’ une Justice. Ceux-là se moyennent ce nom de Noblesse à la pointe de leurs espees, ceux-cy à la pointe seulement de leurs plumes: Ceux-là s’ abandonnent au vent, à la pluye, & au Soleil, n’ ayans le plus du temps autre meilleure couverture que celle qu’ ils peuvent impetrer de la misericorde du Ciel, pendant que ceux-cy regorgent de leurs plaisirs dans leurs maisons de parades: Ceux-cy ont les oreilles ententives à la clameur d’ un Huissier, pour faire monstre de leur langue dans un Barreau: & quant aux autres, ils se resveillent au son des clairons & trompettes, pour combattre à une barriere, ou donner coup de lance à point. Les uns s’ estoquent à coups de canons & de Loix: & les autres s’ exposent & prostituent à l’ espreuve d’ un canon ou artillerie, qui n’ espargne ny grands ny petits: Tous deux travaillent tant pour le public, que pour leur honneur: mais en ceste conformité de travaux, y a telle difference, que ceux-là en travaillant pour le public, ordinairement s’ appauvrissent, & s’ ils acquierent quelques biens, c’ est de la despoüille de leurs ennemis: Et ceux-cy trouvent dedans leurs travaux, comme dedans une grande miniere d’ or, infinies richesses, le plus du temps tirees de la ruine des pauvres sujets du Roy: Et à peu dire, ceux-cy font seulement estat de la vie, ceux-là sans plus de la mort: Ne leur restant de recompense pour toute consolation de leurs maux, que l’ opinion du lict d’ honneur auquel ils s’ acheminent d’ une grande gayeté de cœur. Tellement qu’ entre tant de rudesses, c’ est le moins qu’ ils puissent faire durant leur vie, que de se flatter de ceste opinion de Noblesse, par dessus le reste du peuple. Et vrayement ç’ a esté toujours chose assez familiere à toutes braves nations, de donner au gendarme quelque caractere de Noblesse, par dessus le commun. Plutarque en la vie de Licurge est autheur, qu’ il n’ estoit point permis d’ escrire dessus le tombeau, le nom d’ un trespassé, sinon qu’ il fut mort en la guerre. Pierre Crinit au vingt & uniesme livre de ses Observations, traittant de l’ honneste discipline, remarque des anciens, qu’ il n’ estoit loisible d’ ensevelir dedans la ville de Rome un Citoyen, sinon celuy qui par plusieurs braves exploicts d’armes s’ estoit rendu digne de ceste sepulture. Jean Cuspinian en son traicté des mœurs & conditions des Turcs, nous raconte qu’ au pays de Turquie n’ y a aucune distinction de Noblesse tiree de l’ ancien estoc des ancestres, ains que celuy entre les Turcs est seulement reputé Noble, qui en fait de guerre a donné plusieurs espreuves de sa vaillantise. A fin que je ne recite qu’ au pays de Caramanie il estoit defendu d’ espouser femme, à celuy qui n’ avoit fait present à son Prince, de la teste d’ un ennemy: Et qu’ en la Scythie, estant une ancienne coustume aux grands banquets & festins solemnels, d’ apporter sur le dessert un grand hanap à la compagnie, pour boire, qui estoit chose que l’ on reputoit à grande singularité, & qui signifioit quelque traict de grandeur, à ceux ausquels il estoit presenté, toutesfois si n’ estoit-il permis de le prendre, sinon par ceux qui avoient attestation publique d’ avoir occis & mis à mort l’ un des ennemis du pays. Parquoy nous ne devons point envier au gendarme, qu’ il se donne quelque prerogative de Noblesse par dessus nous moyennant qu’ il ne se laisse point piper d’ une folle imagination fondee en la memoire de ses ancestres, & que pendant qu’ il s’ endort sur la Noblesse que luy ont pourchassé ses predecesseurs, par leur proüesse, il ne s’ aneantisse point, ains tasche de les surmonter, ou pour le moins les esgaler. 

Mais pour retourner aux anciennetez de nostre France, & ne me perdre point icy en un discours qui ne plaira pas à chacun: nos Roys qui sur leur premiere arrivee avoient (comme j’ ay deduit cy dessus) recompensé leurs Capitaines & braves soldats en Fiefs nobles, voyans, apres une grande revolution d’ annees, que le fonds de leurs liberalitez estoit pour ce regard mis à sec (d’ autant que toutes les terres de leur Royaume estoient remplies) s’ aviserent de trouver une autre forme de recompense, non veritablement si riche & opulente, mais de plus grand honneur que les Fiefs. Parquoy fut mis ingenieusement par eux, ou leurs sages Conseillers, l’ Ordre de Chevalier en avant. Car au lieu où premierement ils recompensoient leurs sujets en terres & grandes possessions, à mesure qu’ ils gagnoient les Provinces, deen avant ils commencerent de les recognoistre pour bons & loyaux serviteurs, par grandes & amiables caresses, c’ est à sçavoir par acolees de leurs personnes. Ces acolees depuis se retournerent en Religion. De maniere que lors que nos Roys vouloient semondre quelques Gentils-hommes ou braves soldats à bien faire le jour d’ une bataille: ou bien qu’ ils leur vouloient gratifier à l’ issuë d’ une entreprise, les caressoient d’ une acolee: Et en ce faisant, avec quelques autres petites ceremonies, ils estoient reputez Chevaliers. Ayants par ce moyen, comme s’ ils fussent sortis des propres costez du Roy, autant de primauté & advantage dessus le reste de la Noblesse, comme la Noblesse en son endroit dessus le demourant du peuple. Cest ordre premierement fut inventé en faveur de ceux qui suyvoient les armes, comme mesmement l’ etimologie du mot nous rend certains. Toutesfois tout ainsi comme en la Noblesse, aussi par traicte de temps au fait de la Chevalerie, quelques gens de robbe longue y voulurent avoir part, à l’ occasion de leurs dignitez & offices. Au moyen dequoy on fist double distinction de Chevaliers: Les aucuns estans Chevaliers des armes, & les autres Chevaliers des Loix. Pour laquelle cause Jean de Mehun en son Romant de la Roze, au lieu où Faux semblant discourt les cas, esquels il estoit loisible de mandier, dit: 

On s’ il veut pour la Foy defendre

Quelque Chevalerie emprendre

Ou soit d’armes ou de lectures.

Ainsi Froissard au chapitre cent soixante & dixseptiesme du premier livre de ses Histoires parle de trois Chevaliers, dont les deux estoient d’armes, & le tiers des Loix: Les deux d’armes, dit-il, Monsieur Robert de Clermont gentil & noble grandement, l’ autre, le Seigneur de Conflans: le Chevalier des Loix, Monsieur Simon de Bussy. Et à ce propos Guillaume de Nangy, qui fut presque contemporain de Charles cinquiesme, dit que cestuy de Bussy estoit Conseiller au grand Conseil, & premier President en la Cour de Parlement. Qui fut cause pour laquelle il fut appellé Chevalier de Loix: pour autant que les premiers Presidents se disent par privilege ancien avoir annexé à leurs offices l’ estat de Chevalier. Quant aux Chevaliers d’armes, entre les autres je trouve une sorte de Chevaliers qui furent appellez Bannerets, qui estoient ceux entre les Chevaliers, qui pour être riches & puissans, obtenoient permission du Roy de lever Banniere, c’ estoit une compagnie de gens de cheval ou de pied. En ceste sorte dit Monstrelet au quatre-vingts treziesme chapitre du premier tome de ses histoires, parlant du siege que le Roy Charles sixiesme mit devant la ville de Bourges, dans laquelle s’ estoient enclos tous les Princes de la faction du Duc d’ Orleans. Là, devant la ville (dit-il) pres du gibet, le Roy fit plus de cinq cens Chevaliers, desquels & aussi de plusieurs autres, qui n’ avoient porté banniere, furent immemorables bannieres eslevees. Le sire de Jonville recitant comme le Roy sainct Louys vouloit renouveller son armee, dit, qu’ il luy demanda s’ il avoit point encores trouvé aucuns Chevaliers pour être avec luy: & je luy respondis (fait-il) que j’ avois fait demourer Messire Pierre de Pont-Moulin, luy tiers en banniere. Et en un autre endroit plus bas, il racompte que des prisonniers, qui estoient demourez devers les Admiraux d’ Egypte, en revindrent quarante Chevaliers qu’ il mena devers le Roy pour avoir pitié d’ eux, & les retenir à son service: & comme quelque personnage du conseil du Roy luy eust dit, qu’ il se devoit deporter de faire telle requeste au Roy, attendu que son espargne estoit lors courte: Je luy responds (recite-il parlant de soy) que la male avanture luy en faisoit bien parler, & qu’ entre nous de Champagne, avions bien perdu au service du Roy trente cinq Chevaliers tous portans banniere. Et encores est ceste maniere de Chevaliers trop mieux donnee à entendre par Froissart, au premier livre de son Histoire la part où le Prince de Gales estant prest de combattre, Messire Bertrand du Kesclin avec Henry Roy de Castille, se presenta devant luy Messire Jean Chandos: Là apporta, dit-il, Messire Jean Chandos sa banniere entre ses batailles, laquelle n’ avoit encores nullement boutee hors de l’ ost du Prince, auquel dit ainsi: Monseigneur veez cy ma banniere, je la vous baille par telle maniere qu’ il vous plaise la developper, & qu’ aujourd’huy je la puisse lever: car Dieu mercy, j’ ay bien dequoy terre & heritage pour tenir estat, ainsi comme appartiendra à ce: Ainsi prit le Prince & le Roy Dampietre, qui là estoient, la banniere entre leurs mains, qui estoit d’ argent à un pieu aguisé de gueules, & luy rendirent, en disans ainsi: Messire Jean veez-cy vostre banniere, Dieu vous en laisse vostre prou faire. Lors se partit Messire Jean Chandos & r’apporta entre ses gens sa banniere, & dit ainsi: Seigneurs, veez-cy ma banniere & la vostre, si la gardez comme la vostre. Qui est un passage presque assez formel pour nous apprendre quels furent jadis les Chevaliers Bannerets.

Au demeurant, pour autant que les factions de la maison de Bourgongne & Orleans avoient amené un grand Chaos & desordre à ceste ancienne police, parce qu’ à chaque bout de champ les uns & les autres faisoient des Chevaliers à leur poste: Louys unziesme pour couper broche à ceste confusion, introduisit dés le premier jour d’ Aoust mil quatre cens soixante neuf, un ordre de Chevaliers par forme de confrairie, leur donnant pour patron S. Michel. Induit specialement à ce faire: parce qu’ il estimoit que sainct Michel avoit esté le principal protecteur de ceste France, pendant les guerres des Anglois. Car Jeanne la pucelle (du pretexte de laquelle s’ estoit grandement aidé le Roy Charles septiesme, pour le recouvrement de ses terres) publioit en tous lieux, qu’ elle avoit propos & communication de conseil, toutes les nuicts, avec sainct Michel, ainsi que l’ on peut lire dedans le procés qui luy fut fait. Tellement que Louys unziesme estimant que le plus grand ennemy qu’ eussent eu les Anglois, c’ estoit ce grand Sainct: lequel mesmement n’ avoit laissé venir en leur subjection le lieu où de tout temps & ancienneté on luy a dedié un Temple, qui est le mont S. Michel, voulust dresser ceste confrairie, quasi pour eternel trophee & commemoration des victoires que son pere avoit obtenuës sur les anciens ennemis de la France: & pour ceste cause il institua d’ entree trente six Chevaliers de cest Ordre, dont il estoit le chef & souverain: & quant à ceux qu’ il voulut honorer premierement d’ iceluy, ce furent Charles son frere Duc de Guyenne, Jean Duc de Bourbonnois & d’ Auvergne, Louys de Luxembourg Comte de S. Paul, Connestable de France, André de Laval Seigneur de Loheac, Mareschal de France, Jean Comte de Sanxerre, Seigneur de Bueil, Louys de Beaumont, Seigneur de la Forest & Plessis, Louys de Toute-ville, Seigneur de Torcy, Louys de Laval, Seigneur de Chastillon, Louys bastard de Bourbon, Comte de Rossillon & Admiral de France, Anthoine de Chabanes, Comte de Dammartin, grand Maistre d’ hostel de France, Jean bastard d’ Armignac, Comte de Cominges, & Mareschal de France, George de la Trimoille, Seigneur de Craon, Gilbert de Chabanes, Seigneur de Curton, Seneschal de Poictou, Taneguy du Chastel, Gouverneur du pays de Rossillon & de Sardaigne, & le surplus pour accomplir & parfaire le nombre de trente six, il le reserva à sa discretion selon que l’ occasion le requerroit. Auparavant ceste brave institution le Roy Jean avoit institué l’ ordre de l’ Estoile au Chasteau de Sainct Ouen, le sixiesme jour de Janvier mil trois cens cinquante & un: Et portoit chaque Chevalier une Estoile d’ or à son chaperon, comme ceux de Sainct Michel sont tenus de porter l’ effigie de Sainct Michel à leur col. 

Et presque de ce mesme temps, Edoüart troisiesme Roy d’ Angleterre institua l’ ordre de la Jartiere, qui est un Jartier bleu que tout Chevalier de cest ordre est tenu de porter au genoüil droict. Et est la devise de cest ordre, HONNY SOIT-IL QVI MAL Y PENSE: Chose qui proceda pourautant que ce Roy Edoüart estant grandement amoureux de la Comtesse de Salbery, & l’ entretenant de paroles, il advint par cas fortuit, que l’ un des Jartiers de ceste Dame tomba, lequel fut par une promptitude assez mal seante à ce Prince soudainement relevé. Qui apresta occasion de rire à plusieurs qui luy assistoient: Au moyen dequoy le Roy indigné, protesta deslors que tel s’ en estoit mocqué, qui s’ estimeroit bien-heureux de porter la Jarretiere. Et de fait, tant pour l’ amitié de sa Dame, qu’ en haine & desdain de ceux qui en avoient fait risee, il institua cest ordre de Chevalerie en son Royaume, avecques ceste devise, HONNY SOIT-IL QVI MAL Y PENSE: Voulant dire que l’ amitié qu’ il portoit à la Comtesse, & qui luy avoit causé de lever sa Jartiere, estoit en tout honneur. Il y a eu aussi quelques autres ordres de marque, & entre autres celuy de la Toison d’ or de la maison de Bourgongne, qui fut introduit l’ an 1429. par le bon Duc Philippes de Bourgongne. Et semblablement celuy de l’ Annonciade en la maison de Savoye institué par Amé sixiesme Comte de Savoye. Tous lesquels se sont trouvez de grande recommandation, chacun diversement selon la diversité des pays & contrees. Et par special entre nous, ces Chevaliers de Sainct Michel, lesquels nous appellons simplement, Chevaliers de l’ ordre: Ausquels toutesfois il s’ est rencontré un grand desordre, depuis que le mot de Huguenot a pris vogue parmy ceste France. D’ autant que là où anciennement on bailloit le collier, avec une grande religion & respect à peu de personnes: l’ on a depuis le commencement de ces troubles intestins, fait une infinité de tels Chevaliers, avec un tresgrand abandon. Mais pour ne parler point des vivans, je lairray ce discours à ceux, qui sans aucune crainte entreprennent dedans leurs estudes privees, l’ histoire du temps present. Histoire, laquelle estant bien escrite, & d’ une main non partiale, apportera grande merveille & admiration de ce siecle à tous les siecles qui ont à nous succeder.

Le Roy Henry III. dernier mort ayant inesperement receu deux grandeurs de Dieu: l’ une quand le jour de la Pentecouste 1573. il fut aux Comices generaux de Polongne, proclamé Roy de Polongne: L’ autre quand par le decés du Roy Charles IX. son frere, l’ annee suivant ce mesme jour luy escheut la Couronne de France. En commemoration de ces deux grands bien-faits, mesmes pour aucunement reformer la desbauche qui se trouvoit en l’ ordre de S. Michel, introduisit un nouvel ordre de Chevalerie, appellé tantost l’ Ordre, tantost la Milice du S. Esprit, & ce au mois de Decembre 1598. Et qui en voudra sçavoir les statuts, voye le dixhuictiesme livre du Code Henry, du feu President Brisson, dans lequel il trouvera vingt & trois titres concernans ceste matiere

Mais pour retourner à mon entreprise, tout ainsi que le desarroy qui avoit couru parmy la France, par le moyen de ces deux grandes maisons & familles d’ Orleans & de Bourgongne, avoit enfanté une infinité de Chevaliers: Qui fut cause que les choses estans adoucies, le Roy Louys XI. pour gratifier de quelque tiltre extraordinaire ses favoris, introduisit l’ Ordre de sainct Michel: aussi ce mesme desarroy occasionna le Roy Charles septiesme (apres plusieurs travaux & fatigues) d’ establir une nouvelle police au fait de sa gendarmerie. Jamais ne fut qu’ en ceste France n’ y eust gens de cheval & de pied, pour la conservation du Royaume, toutesfois l’ injustice du temps avoit esté telle, premierement par les factions de ces deux maisons, puis par la survenuë des Anglois, que toute la gendarmerie Françoise estoit presque en confusion & desordre, pillant, rodant, & degastant le plat pays sans controolle. Parce que le Roy qui avoit affaire de gens pour faire teste à l’ Anglois, estoit contraint de passer outre par connivence. Toutesfois ayant depuis reduit sous sa devotion la plus grande partie des terres de l’ ancienne obeyssance de nos Roys, & fait son entree dedans la ville de Paris, il voulut en l’ an mil quatre cens trente neuf, remettre toute sa gendarmerie en meilleur train qu’ elle ne s’ estoit trouvee pendant les guerres qui s’ estoient peu auparavant passees. Pour ceste cause dit Maistre Alain Chartier en l’ histoire qu’ il a escrite de son temps, Voyant le Roy Charles septiesme, qu’ à tenir tant de gens courans sur les champs, ce n’ estoit que destruction de son peuple, & qu’ à chacun combattant falloit dix chevaux de bagage, de fretin, de pages, & valets, & toute telle coquinaille, qui ne sont bons qu’ à destruire le peuple: Si ordonna par grande deliberation de son Conseil, de mettre tous ces gens d’armes és frontieres: chacun homme d’ arme a trois chevaux, & deux archers, ou trois, & non plus. Et seroient faictes leurs monstres, & payez tous les mois, & chassez hors tout le demourant du harpail. Et pour ce faire, & commencer telle ordonnance, le Roy fit bailler & deliurer à tous ses Capitaines, argent & artillerie. Et quelques annees apres, (sçavoir est, l’ an mil quatre cens quarante quatre) le mesme autheur nous atteste que ce Roy ordonna que tous ces gens d’armes feroient monstre, & que des mieux equippez, & de plus gens de bien, on en prendroit quinze cens lances, & quatre mille Archers, & le demeurant s’ en retourneroit en leurs maisons. Chassant tous les Capitaines, en ordonnant seulement quinze qui avroient cent lances, & au prorata des Archers, lesquels seroient logez par les villes de ce Royaume, & payez & nourris du bien du peuple. Et si hardy d’ iceux gens d’armes & Archers de faire desplaisir, ny rien prendre sur hommes des champs, ny des villes. De là commença la police des garnisons, qui sont distribuees par les villes de ce Royaume, pour nourrir & alimenter les hommes d’armes. Et de ce mesme ordre il est advenu que nous attribuons au Roy Charles septiesme, d’ être le premier introducteur d’ iceux hommes d’armes, tels que nous les avons pour le jourd’huy en ceste France: Lesquels furent depuis appellez, Gens des Ordonnances, pour le reglement qui leur convint lors tenir, par les Ordonnances de ce Roy. Ce mesme Roy aussi cognoissant en quelle tempeste il avoit passé sa jeunesse, & combien luy estoit necessaire avoir en son Royaume des gens nourris & entretenus aux armes, introduisit les Francs Archers. En ce temps (c’ estoit vers l’ an mil quatre cens quarante huict) le Roy ordonna, dit le mesme autheur, d’ avoir en chacune parroisse de son Royaume un Archer armé, & prest, toutes les fois que bon luy sembloit pour faire guerre à son plaisir, quand il luy seroit besoin. Et à ceste occasion, a fin qu’ ils fussent sujets à ce faire, les affranchit de non payer tous subsides courans en son Royaume. Et fut ordonné aux Baillifs du dit Royaume, chacun endroict soy, choisir en chacun Bailliage & parroisse, les plus habiles & idoines. Qui n’ estoit pas une invention petite, attendu mesmement que telles gens estoient de petit coust au Roy. Toutesfois pour les abus qui depuis s’ y commettoient, en l’ eslection de telle maniere de Francs Archers, ceste invention se perdit assez tost entre nous. D’ autant que Louys unziesme, qui estoit d’ un entendement particulier & soupçonneux, au lieu de soy aider des siens, fut celuy qui premier s’ aida des armes des Suisses, laissant les siennes naturelles en arriere. Chose qui ne fut oncques approuvee en tout Royaume bien reformé: Pour-autant que pendant que nous aguerrissons à nos despens l’ estranger, nous aneantissons le cœur des nostres, faisans plus d’ estat de leurs bourses que de leurs forces: Dont viennent petit à petit les ruines des grandes Republiques & Monarchies. Sur lequel propos il me souvient avoir leu que du temps du susmentionné Charles septiesme, la necessité des guerres avoit tellement endurcy au travail des armes, nos François, qu’ en l’ an mil quatre cens quarante & quatre, ayant le Roy fait une trefue de dix-huict mois avec l’ Anglois, il prit conclusion en son conseil, d’ aller guerroyer de gayeté de cœur, l’ Allemagne: a fin que ses soldats ne s’ assopissent point ce pendant, dans une lasche oysiueté. Ce qui fut fait & accomply sous la conduitte du Dauphin. A laquelle entreprise se joignirent de mesme cœur plusieurs compagnies Anglesches: Laquelle chose intimida de telle sorte les Allemans, qu’ apres avoir esprouvé quelques efforts & secousses des nostres, ils furent contraints d’ implorer la paix, moyennant certaines sommes de deniers qu’ ils fournirent pour le defroy de la guerre. Qui nous apprend combien pourroit le François de soy-mesmes s’ il estoit tousjours duit & industrié aux armes.

Ce lieu m’ admoneste, apres avoir discouru sur les Fiefs, sur la Noblesse, Chevalerie, & gens des ordonnances, de donner semblablement icy lieu aux Escussons & Armoiries, que nos Nobles & Gentils-hommes portent ordinairement pour une remarque de leur Noblesse ancienne. C’ a tousjours esté une coustume familiere à toutes nations d’ avoir eu quelque image, pour être en temps de guerre une enseigne, sous laquelle se peussent r’allier les gens d’armes. Agrippa en son discours de la vanité des sciences, au chap. 9. s’ est amusé à nous en amasser plusieurs exemples. Disant que les Romains curent l’ Aigle: les Phrigiens le Pourceau: les Thraciens une Mort: les Gots une Ourse: les Alains arrivans és Espagnes un Chat (chatalains): les premiers François un Lyon, & les Saxons un cheval. Et certes le premier qui entre les Romains prit l’ Aigle, pour le rendre perpetuel, ainsi que nous apprenons de Valere, fut le vaillant Capitaine Marius. Car auparavant sa venuë, les Romains usoient indifferemment en leurs estendarts, de Loups, de Leopards, & d’ Aigles, selon ce qu’ il montoit à la fantasie des Colomnels de leurs osts. Depuis, comme j’ ay dit, cest Aigle leur fut une perpetuelle enseigne, pour le general de l’ armee. Et consecutivement chasques bandes curent certaines formes d’ Armoiries distinctes en leurs enseignes, qui furent aussi perpetuelles, ainsi que nous pouvons apprendre du livre qui court és mains des doctes, intitulé la Notice de l’ Empire Romain. Toutesfois quant à nous, je ne me puis persuader, que ny nos Rois, ny leurs Capitaines, sur leur premiere arrivee en ceste Gaule, eussent telles manieres d’ enseignes ou armoiries perpetuelles: ains est mon jugement tel (combien que je m’ en rapporte de cecy à l’ opinion des plus sages) que les armoiries anciennes, tant de nos Roys, que de leurs sujets, estoient devises telles qu’ il plaisoit à un chacun se choisir. Comme de nostre temps nous avons veu le Roy François I. du nom avoir pris pour sa devise, la Salemandre: & le Roy Henry son fils, le Croissant. Car voyant que tantost quelques autheurs disent que les armoiries des François estoient trois crapaux, tantost trois Couronnes, tantost trois Croissans, tantost un Lion rampant, portant à sa queuë un Aigle: Je ne puis penser dont procede ceste diversité d’ opinions, sinon que les autheurs qui nous devancerent sur le milieu de nos Rois, trouverent quelques uns d’ entr’ eux porter en ses armes, l’ un trois croissans, l’ autre trois crapaux, & ainsi raportans ceste particularité à une generalité du païs (d’ autant que du temps d’ iceux autheurs les armoiries estoient ja faites perpetuelles) ils estimerent chacun en son endroict que les armoiries de France fussent les unes trois Couronnes: les autres, trois Croissans: les autres le Lyon: les autres trois Crapaux, jusques à la venuë de Clovis, lequel pour rendre son Royaume plus miraculeux, se fit apporter par un Hermite, comme par advertissement du Ciel, les fleurs de Lys, lesquelles se sont continuees jusqu’ à nous. Et quasi à mesme propos me souvient que Polidore Vergile en la vie de Guillaume le Bastard, dit que jusques à la venuë de ce brave Roy, tous les Roys d’ Angleterre n’ avoient armes certaines & arrestees, ains les diversifioient à chaque mutation de regne, ainsi qu’ il plaisoit au Roy, sur son avenement à la Couronne. Pour laquelle chose averer, il asseure avoir veu un vieil livre contenant les armoiries particulieres de tous les autres Roys d’ Angleterre. Et vrayement dedans nos anciens Romans, qui nous ont sous le masque de leurs fables representé les vieux temps, je ne trouve point les Chevaliers avoir armoiries arrestees, & encore moins continuees de pere à fils, ains diversement tirees, ou de la faveur qu’ ils recevoient de leurs dames, ou selon quelque acte de vaillance qu’ ils avoient executé, ou bien suivant l’ opinion qu’ ils se promettoient de bien faire à l’ avenir, imprimans chacun sur son Escu, ce qu’ il avoit en la pensee: a fin qu’ en une meslee, il peust être recogneu des autres par sa devise. Chose qui a fait, que depuis ont esté telles remarques appellees entre nous, Armes, Armoiries, Escussons. Toutesfois ny plus ny moins que les Roys d’ Angleterre se bornerent aux armoiries de Guillaume le Bastard, & les François, en ces Lys miraculeux de Clovis: aussi chaque grande famille, apres avoir eu quelque personnage de nom, qui par sa proüesse & vertu, donna anoblissement à sa race, s’ arresta à la commune devise de luy. Et ceux qui se sont voulu exalter en cas de Noblesse dessus le commun, se sont estimez tenir plus de la grandeur, lors que leurs armes leurs estoient donnees par le devis & opinion de leur Prince. En ceste maniere recite le Sire de Joinville, qu’ un nommé Messire Arnaut de Comminge, Vicomte de Couserans, avoit ses armes d’ or à un bord de gueules: lesquelles il disoit avoir esté donnees à ses predecesseurs, qui portoient le surnom d’ Espagne, par le Roy Charlemagne, pour les grands services qu’ ils avoient faicts aux Espagnes contre les infideles. Et tout de ceste mesme façon Jeanne la Pucelle, qui pour ses chevaleureux exploicts, fut annoblie avec tous les siens, eut pour ses armoiries, du Roy Charles septiesme, un escu à champ d’ azur, avec deux fleurs de Lys d’ or, & une espee, la poincte en haut, fermee en une Couronne. Ainsi que les choses vont pour le jourd’huy, l’ on tire les armoiries en deux manieres. Dont l’ une est prise de l’ equivoque des noms, & l’ autre fondee sur telle raison que mal-aisément la peut-on rendre, sinon que de telles armes ont de tout temps immemorial iouy nos ancestres, en nos familles. Enquoy, combien que ces dernieres soient grandement agreables aux Seigneurs, qui seroient tres-contens de tirer leur Noblesse, d’ une eternité, ou iroient volontiers chercher leurs predecesseurs (ainsi que Guerin Mesquin, son pere) dedans les arbres du Soleil, si est-ce que l’ on trouve plusieurs grandes & nobles maisons qui portent leurs armes conformes à leurs noms. Et mesmement les grands Royaumes qui nous sont voisins, en ont forgé de ceste marque. Car celuy de Grenade porte seulement neuf Grenades entamees: celuy de Galice: une coupe en forme de Galice, environnee de six Croix: celuy de Leon, un Lyon, & celuy de Castille un Chasteau. Il seroit difficile de dire, combien de noises & debats engendrent quelquesfois entre les Nobles, ces armoiries. Qui fut cause, que autresfois Bartole Docteur és Droicts, en fit un traicté expres. Et qu’ en cas semblable le facetieux Poge Florentin, se mocquant de telles querelles, dit que deux Gentils-hommes estans sur le poinct de combattre pour leurs armes, lesquelles chacun d’ entr’ eux pretendoit être trois testes de Bœuf, fut par les Mareschaux du Camp trouvé un prompt expediant pour les accorder: adjugeans à l’ un trois testes de Boeuf, & à l’ autre trois testes de Vache. Aussi à dire le vray, sont-ce disputes assez oyseuses & inutiles. Car encores que nos armoiries soient annexees à nos familles, quasi pour un privilege ancien de nos vaillances: si est-ce que nostre proüesse & vertu ne doit despendre d’ icelles armes. Et si quelquesfois elles nous furent octroyees par le Prince, pour attestation de quelque Chevalerie faite par quelqu’ un de nos bisayeux, c’ estoit à luy de les deffendre, & non pas à nous, de nous r’ alentir sur ceste vaine opinion de nos ancestres, ains devons penser qu’ il faut que nostre Noblesse despende principalement de nostre fonds: & que pendant qu’ assopissons nos sens sur ceste folle imagination, nous nous trouvons petit à petit devancez par gens de plus basse condition, mais de plus haut courage que nous: Ne nous restans le plus du temps, tant des grands biens, que des vertus de nos predecesseurs, pour toute trace, que les armoiries nuës & simples. Laquelle chose (si nous avions autant de sentiment de douleur, comme faisons semblant d’ avoir de nostre grandeur) deussions estimer retourner plustost à nostre honte, confusion, & impropere, qu’ à nostre loüange & honneur.