2. 16. Du droict d’ Aisneesse, Apanages, Loy Salique, Successions aux anciennes Duchez & Comtez de la France.

Du droict d’ Aisneesse, Apanages, Loy Salique, Successions aux anciennes Duchez & Comtez de la France

CHAPITRE XVI.

M’ estant en ce lieu proposé de deduire une partie de l’ ancienneté de la police de France, il me semble que je ne feray point chose grandement eslongnee de mon intention, si je discours en ce lieu, la recommandation en laquelle nos vieux peres curent l’ entretenement & perpetuation de leurs familles. Toutesfois premier que de m’ advancer en plus longue estenduë de propos, il faut que je me plaigne en passant, de la commune resolution des Advocats de ce temps-cy, lesquels s’ estans aheurtez à un droict Romain, comme à un port de seureté, duquel ils pensent tirer franchise de leurs erreurs, toutes les fois & quantes qu’ il s’ offre quelque dispute entr’ eux, ou des Retraicts, ou des Testamens (matieres qui leur sont assez familieres & occurrentes) estiment la question des Retraicts être de soy odieuse, parce qu’ elle contrevient, ce leur semble, au droit escrit: & au contraire être favorable ce qui a esté ordonné par un testament, comme estant une Loy & ordonnance de nos dernieres volontez. Tellement qu’ à l’ une des questions ils tiennent la bride courte, voire jusques à une superstition tres-estroite. Et à l’ autre, ils laschent les resnes outre mesure pour autant qu’ ainsi ils ont esté en partie enseignez par ceux qui traitent le droict des Romains. De ma part, je ne veux point icy controoller ce qui a esté opiné par les Jurisconsultes de Rome: mais je diray franchement, que tous ceux qui digerent de telle façon entre nous, & les Retraicts, & les Testamens, ne sonderent jamais au vif quel a esté le droict des François. Les Romains eurent leurs considerations peculieres, aussi eurent nos François, les leurs. Et si puis dire davantage, que nous les devançames en cecy. Car si sur les ventes, & dernieres volontez, ils voulurent gratifier au particulier consentement & contentement d’ un chacun, nous autres d’ un plus haut discours, nous fondames sur le commun devoir de nous tous. Ne nous arrestans pas és choses que particulierement nous voulions, & le plus du temps par un jugement effrené, ains à ce qu’ il nous estoit bon & expedient de vouloir, pour l’ utilité du public. Pour ceste cause eusmes nous l’ entretenement des familles en grande recommandation, voire sur toutes autres contrees & nations. Du fonds de ceste raison sourdit (pour commencer par le chef) la Loy Salique, tant profitable au Royaume, qui ne veut que la Couronne tombe en quenoüille, de ceste, les Apanages és enfans puisnez de nos Rois, de ceste, le droit d’ aineesse entre les Nobles grandement necessaire, pour subvenir aux fraiz des guerres, de ceste, generalement vint l’ institution des Retraicts, & aussi les interdictions & defenses de ne tester à nostre appetit, sinon jusques à certaine quantité du bien que la Loy nous a prefix, ains que par coustume generale les biens aillent aux plus proches lignagers de main en main. Choses à la verité fort bien par nos anciens ordonnees. Car encores que quelquesfois naturellement, c’ est à dire, suivant nostre nature & opinion corrompuë, nous soyons plus enclins en la faveur des estrangers, que des nostres (qui fut la consideration des Romains) si est-ce que nostre coustume, comme je disois maintenant, considerant de plus pres à ce que nous devons faire, qu’ à ce que peut être par une desordonnee opinion, nous eussions eu envie de faire, s’ advisa de trouver frain & moyen à nos passions. Temperant toutes fois les Retraicts de telle balance, que sans nous frustrer de la liberté des traffiques, elle nous permettoit de vendre à qui bon nous sembleroit, mais toutesfois à la charge que l’ un de la consanguinité y avroit dedans l’ an son regrés, si bon luy sembloit, pour mesme prix que le premier acquereur, & en le rembourçant de ses fraiz & loyaux cousts. Et au regard des Testamens, cognoissans que pour le defaut & imbecilité de sens que nous pouvons avoir lors de nostre decez, pourrions commettre plusieurs incongruitez, voulurent que la coustume qui estoit au suplément de la Loy, en prit la principale charge. Parquoy ne nous fut ostee plaine faculté de disposer à nostre arbitrage des choses acquises par nostre industrie: Mais de celles qui nous venoient de l’ estoc de nos peres & meres, ou de nos ancestres, voulurent que nous usissions de mesme liberalité envers les nostres, & ceux qui estoient de nostre sang, comme les nostres avoient usé envers nous. Estimans (comme est le commun proverbe François) que le bon sang ne peut mentir. Loy vrayement du tout Platonique, & discouruë amplement par ce grand Philosophe Platon, dedans l’ unziesme de ses loix. Ce qu’ entrecogneurent mesmement les Romains sur la fin de leur Republique, quand ils introduisirent les Quartes & Legitimes, pour brider la volonté des testateurs. Qui demonstre que trop plus est nostre Loy en cest endroit equitable, que la Romaine. Certes quant au droict d’ aineesse, c’ est une question qui tombe souvent en propos, sçavoir si par raison de nature, la Loy doit donner plus de passedroict à l’ un des enfans que aux autres. Car à dire le vray, il semble que ce soit chose fort estrange, qu’ estans plusieurs enfans sortis d’ un mesme ventre, un seul soit advantagé, au desadvantage des autres. Et combien que ceste Loy apporte plusieurs grands profits au Royaume, si est-ce que nos premiers ancestres ne se peurent aisément induire à l’ introduire en leur Monarchie. Et de fait, ne furent ny les droicts d’ ainesse, ny les apanages, cogneuz sous la premiere, ny mesme sous la seconde lignee de nos Roys. Qu’ il soit vray, se trouvera qu’ apres la mort du grand Clovis, quatre siens fils diviserent par égales parts, & portions le Royaume, faisans chacuns d’ eux diversement leurs sieges à Paris, Mets, Soissons, & Orleans, & s’ appellans chacun d’ entr’ eux Roys des villes, esquelles ils avoient establis leurs principales demeures. Lequel partage fut de rechef renouvellé aux quatre enfans de Clotaire premier. Et qui plus est, pour monstrer que tant s’ en faut qu’ il y eut lors, ou Apanages, ou droict de consanguinité, si estroitement gardez comme nous faisons maintenant, c’ est qu’ en defaut d’ enfans procreez de leurs corps, ils pouvoient mesmement adopter & faire des feintes afiliations, sans s’ arrester au droit d’ intestat, & proximité de lignage. Car Gontran Roy d’ Orleans, au prejudice de ses autres nepueux, adopta son nepueu Childebert Roy de Mets, & moyennant ceste adoption le fit heritier universel de tous ses pays & contrees. Aussi voyons nous que Dagobert ayant eu deux enfans masles, Sigisbert aisné, qui fut Roy d’ Austrasie, & Clovis son puisné, qui eut pour partage le Royaume de France, se voyant iceluy Sigisbert sans enfans, institua pour heritier de son Royaume, un autre Childebert fils de Grimovault, Maire de son Palais. Se donnant par ceste ordonnance puissance de defrauder les enfans de son frere Clovis, de sa succession. Et si nous voulons descendre plus bas, nous trouverons que Louis le Debonnaire, fit un partage égal entre ses quatre enfans: & que s’ il y eut inegalité, ce fut pour avoir investy de la meilleure piece de tous les Royaumes, Charles le Chauve son dernier fils: luy donnant pour son partage, ce Royaume de France. Dont ses trois autres freres jaloux, combien qu’ ils esmeussent grandes querelles contre luy, si est-ce que le partage tint tout de la mesme façon que leur deffunct pere l’ avoit dressé. Tous lesquels exemples nous doivent être argumens assez suffisans, pour penser que ce droict d’ aineesse ne fut cogneu sous les deux premieres lignees de nos Roys. Au moyen dequoy il semble que ceste brave invention, ensemble des Retraits, & inhibitions de tester, soit venuë sous la lignee de Hugues Capet, & qu’ estant nostre Royaume divisé en eschantillons & parcelles, chasques Ducs & Comtes pour se prevaloir davantage en leurs necessitez de guerre, voulurent que la plus grande part & portion des Fiefs de leurs vassaux, vint entre les mains de l’ un des enfans: & fut cest un approprié en la personne de l’ aisné. Car encores que par une consideration familiere & œconomique, le partage égalé entre les enfans, semble être de quelque merite, si est-ce que pour la protection d’ un pays, il est bon qu’ entre gens qui sont destinez pour la guerre, comme sont les Nobles, il y en ait un entre les autres, qui ait la plus grande part au gasteau. Parce que cestuy ainsi advancé supporte plus longuement la despense d’ une longue guerre. 

Et les autres qui seulement s’ attendent à leur vertu, se hazardent plus advantureusement aux perils, pour trouver moyen de se pousser & être cogneux de leur Prince. A ceste cause voyons nous qu’ és endroicts où il y eut grands Seigneurs, qui firent pour quelque temps teste à nos Roys, ils eurent ce droict d’ aineesse specialement affecté, comme en la Bretagne, Normandie, Vermandois & autres. Qui nous enseigne, que la necessité des guerres de ces Ducs & Comtes, qui estoient en leurs contrees comme Roitelets, nous amena premierement ceste invention d’ Ainesse. Car quant aux Apanages, qui sont destinez pour les enfans puisnez de nos Roys, Paul Emile diligent perquisiteur de nostre histoire Françoise, a remarqué des anciens, que ce fut une invention, que nos Roys emprunterent des voyages qui se faisoient outre-mer, pour la recousse de la terre saincte. Car au lieu où premierement tous enfans du Roy estoient recompensez en Royaumes pour leurs partages: & que depuis on leur donnoit les grandes contrees par forme de Duchez, avec grandes prerogatives, & soy ressentans au plus pres de la Royauté, sous le nom de Ducs: nos Roys par une invention tres-politique & profitable, pour l’ accroissement de ce Royaume, commencerent de retrancher ceste grandeur à leurs freres, leurs donnans terres & Seigneuries en Apanage. Quoy faisans, ils n’ entendoient leur avoir rien donné en partage, fors le domaine & le revenu annuel. S’ estans au demeurant reservez toute jurisdiction, ensemble toute souveraineté & puissance d’ imposer sur le peuple parties casuelles, telles que la necessité leur conseilloit. Il se trouve arrest solemnel donné par les Pairs, & plusieurs personnages de marque, jusques à 35. en l’ annee 1243. par lequel fut ordonné que defailans hoirs masles du corps, les Apanages retournoient au Roy, & non au plus prochain lignager. Cest arrest prononcé au profit du Roy, pour les Comtez de Poictou, & Auvergne, qui avoient appartenu à Alphons, frere du Roy S. Louys, à l’ encontre de Charles Roy de Sicile.

Or combien que le droict d’ Aineesse & l’ Apanage, soient choses nouvelles au regard de la Loy Salique, si est-ce que le profit que nostre Royaume sent de telles maximes, nous les rapportons toutes communément, comme si elles eussent esté introduittes avec ceste Loy Salique, veritablement non sans grande occasion. Car encores qu’ elle n’ en face aucune mention, ce neantmoins la mesme raison qui occasionna nos ancestres à forclorre les filles de l’ esperance du Royaume, fut cause que depuis on voulut attribuer aux aisnez tout le droict de la Couronne, & que par mesme moyen les freres de nos Roys furent seulement appennez. Toutesfois pour parler à son rang d’ icelle loy, qui est tant celebree à l’ advantage des François, il semble que pour le jourd’huy ceste loy nous soit peculiere entre tous autres Royaumes. Pour laquelle cause quelques-uns (comme Guillaume Postel) estiment qu’ elle prit son ancienne origine des Gaules, & qu’ elle fut appellee Salique, au lieu de Gallique, pour la proximité & voisinage que la lettre de G, en vieil moule, avoit avec la lettre S: Il seroit mal-aisé de raconter la diversité des opinions qui se rencontrent en l’ etimologie de ce nom. Jean Cenal, Evesque d’ Auranches, qui a laborieusement recherché plusieurs anciennetez, & de la Gaule, & de la France, l’ a voulu rapporter à ce mot François, Sale: Parce que ceste Loy estoit seulement ordonnee pour les Sales & Palais Royaux. Claude Seissel, assez mal à propos, a pensé qu’ elle vint du mot de Sel en Latin, comme une Loy plaine de sel, c’ est à dire de sapience, par une metaphore tiree du sel. Un Docteurs és droits nommé Ferrarius Montanus, a voulu dire que Pharamond fut autrement appellé Saliq’. Les autres (comme l’ Abbé Vespergense) plus ingenieusement la tirent de Salogast, l’ un des principaux Conseillers de Pharamond. Et les derniers pensans subtilizer d’ avantage disent que pour la frequence des articles qui se trouvent dans icelle Loy, commençans par ces mots, Si aliquis, & Si aliqua, elle prit sa derivaison. Combien que la verité soit qu’ elle fut appellee Salique, à cause des François Saliens, desquels est faite assez frequente mention dans Marcelin. Chose qui a esté fort bien recogneuë par Paul Emile: Car les François, comme nous avons deduit au premier livre, lors qu’ ils sejournerent sur le bord du Rhin, furent divisez en plusieurs peuples, dont les aucuns furent appellez Anthuariens, & les autres Saliens. 

Et mesmement sans se donner peine d’ avantage, pour la verification de cecy, on peut appertement discourir, dont a pris ceste loy sa source: singulierement pour le regard du chef qui a banny les femmes de la Couronne, par le passage que noz Princes tirent à leur advantage au tiltre, De allodis, où il est dit, De terra Salica nulla portio hæreditatis in mulierem transit, sed hoc virilis sexus acquirit. Nous defendons qu’ aucune part & portion de la terre Salique soit baillee aux femmes, ains seulement que cela soit fait propre aux masles. Ceste mesme forme de loy excluant les femelles des Royaumes, a esté approuvee en plusieurs braves Republiques. Au Royaume des Israëlites, encores que la Loy de Moyse fut expresse (comme il appert par le vingt & septiesme chapitre des nombres) que les enfans masles succedoient premierement, puis en leur defaut, les filles: à faute d’ elles, les collateraux: toutefois on ne trouve point que jamais fille ait tenu le sceptre entr’ eux. Aux Lacedemoniens, Republique fort bien reformee, fut tout le semblable observé comme l’ on apprend de Plutarque, recitant que le pere de Licurge Roy de Lacedemone, ayant esté meurdry par les siens, laissa pour successeur à la Couronne Polidecte son fils aisné, qui mourut laissant sa femme enceinte: Et dit nommément cest autheur, que Licurge solicité par quelques uns: d’ aprehender le Royaume par le decez de son frere, respondit à ceux qui pour luy penser faire plaisir l’ importunoient de ce faire, que le Royaume ne luy pouvoit appartenir, là & au cas que sa belle sœur accouchast d’ un enfant masle. De sorte que l’ on peut de ce recueillir, que si elle eust enfanté une fille, Licurge eust pretendu l’ exclurre de l’ expectative du Royaume. Ceste mesme loy, pour bien dire, fut pratiquee par nous. Bien est vray que l’ entretenement d’ icelle nous en fut autresfois cher vendu, lors que Philippes de Valois, par le conseil de Robert Comte d’ Artois, la meit en avant, contre Edouart troisiesme de ce nom Roy d’ Angleterre, qui avoit espouzé Isabelle fille de Philippes le Bel. Et de cecy fut l’ occasion, pourautant que de toute ancienneté la fortune du temps n’ avoit oncques permis (au moins que je voye bien exprimé dans nos histoires) que la Couronne se trouvast être sans hoirs masles en ligne directe, fors depuis la mort de Loys Hutin. Qui fut cause que les Flamans, pensans que ceste Loy fust de nouvelle impression, appelloient en leurs farces & joingleries, Philippes de Valois Roy trouvé. Comme si par un nouveau droict & non jamais recogneu par la France, il se fust faict proclamer Roy. Aussi se trouva un riche citoyen de Compieigne nommé Simon Pouiller (comme dict Gaguin) auquel pour ceste occasion advint de dire, que le Roy Edouart d’ Angleterre avoit plus de droict à la Couronne que Philippes. Ce que venu à la cognoissance du Roy & de son conseil, il luy fist coupper bras & jambes, l’ une apres l’ autre, & puis la teste, laissant son corps seul comme un tronc. Et vrayement s’ ils eussent tous esté bien informez de l’ efficace & ancienneté de ceste loy, ils eussent changé de propos. Car encores que (comme j’ ay dit) le cours du temps n’ eust permis que jusques à la mort de Hutin, le Royaume fut jamais tombé en quenoüille, si est ce que si nous voulons rechercher les Histoires plus haut, nous trouverons que non seulement les François, mais aussi la plus part des peuples qui sortirent du profond de la Germanie, eurent ceste loy affectee, & en recommandation sur toutes autres: bien est vray que sous diverses modifications. Les Vandales, possedans l’ Affrique, avoient pour Loy & institution solemnelle, de ne recevoir à leur Couronne que les masles, non toutesfois les plus proches parens, comme nous, ains ceux qui en la famille des Roys estoient les plus anciens du lignage. Les Ostrogots regnans dessus l’ Italie, ne recevoient à la succession du Royaume les femelles, mais aymoient encores mieux avoir un enfant pour leur Roy, qu’ une femme: tellement que le fils forcluoit la mere. Chose que nous pouvons assez clairement induire de cest exemple. Car estant Theodoric Roy des Ostrogots allé de vie à trespas, delaissee Amalasfonte (o Amalassonte, o Amalaffonte) sa fille unique, qui avoit un seul fils nommé Athalaric, jeune enfant, aagé seulement de dix ans, le Royaume escheut à Athalaric, & non à Amalasfonte sa mere: mesmes depuis la mort d’ Atalaric, la Couronne fut deferee à Theodaat, sans que jamais Amalasfonte (femme au demeurant tres-advisee) la querellast: Ce qu’ elle n’ eut pas aisément permis, si la Loy commune du pays luy eust assisté en ceste querelle, veu qu’ elle estoit grandement cherie & favorisee de ses subjets, pour la memoire de son pere. Et les Anglois arrivans en la grand’ Bretaigne, bannirent du tout la femme de l’ esperance du Royaume, luy permettans seulement de recueillir de la succession de son pere ses meubles & precieux joyaux. Non en ce grandement eslongnez de nostre commune observance. De façon que nous pouvons presque dire que ce fust une Loy qui couroit generalement entre les Germains, lors qu’ ils se desborderent encontre l’ Empire de Rome, de ne permettre que leur Couronne tombast en quenoüille. 

Toutes ces choses par moy cy discourues, serviront pour nous apprendre que ceux (car je veux reprendre mes premiers *arreliemens) qui en se mocquants voulurent revoquer en doute ceste grande loy Salique, du temps des Roys Philippes de Valois, & Edouart troisiesme, le firent ou par ignorance de l’ Histoire, ou par la calomnie du temps: Et toutesfois s’ il nous faut démeler de ce procez qui fut entre ces deux grands Princes (procez puis-je dire, qui a tant cousté à la France, car de là vindrent ces deux malheureuses journees de Cressy & Poictiers, esquelles fut presque defaicte & saccagee toute la Noblesse Françoise) certainement il est tout clair, que presupose que la Loy Salique n’ eust eu lieu entre nous, comme elle avoit, si est-ce que Edouard, qui premier voulut mettre ceste controverse sur le bureau, estoit du tout sans interest, & à vray dire debatoit le droict d’ autruy, & non le sien. Aussi est-ce la verité qu’ il n’ eust jamais entrepris ceste querelle, s’ il m’ eust esté à ce faire induit & semonds par les sollicitations & pratiques de Robert d’ Artois lequel en haine de ce qu’ il avoit esté privé par arrest, de la possession du Comté d’ Artois, contre Matilde sa parente (qui avoit mesmement encontre luy averé une fauseté) se voyant non seulement esbranlé de la plus grand partie de son bien, mais aussi de son honneur, se transporta, comme tout forcené par devers le Roy d’ Angleterre. Qui fut cause que ce Roy s’ achemina à ceste entreprise, non point tant en intention de poursuivre par armes son droict, que pour se vanger de l’ injure que Robert pretendoit luy avoir esté faite. Comme sont ordinairement les Princes & grands Seigneurs bons coustumiers de conduire & mettre à effect la veangeance de leurs inimitiez privees, soubs le masque du bien public. Et au surplus pour monstrer que l’ Anglois ne pouvoit quereller à juste raison nostre Couronne, il convient entendre que Philippes le Bel eut trois enfans masles & une seule fille: C’ est à sçavoir Louys Hutin, Philippes le Long, Charles le Bel, & Ysabelle, qui fut mariee avec Edouard. Apres le Bel vint à la Couronne Louys Hutin son fils aisné, qui eut pour tous hoirs une seule fille, nommee Jeanne, qui fut femme de Louys Comte d’ Eureux. Par ainsi si le Royaume fust tombé en quenoüille, ceste-cy forcluoit oculairement Ysabelle sa tante. Et toutes fois ceste question fut deslors vuidee, & le Royaume declaré par l’ advis du Parlement appartenir à Philippes le Long: lequel aussi eut trois filles qui ne revoquerent jamais en doute le droict de la Couronne, ains liberalement accorderent que Charles le Bel leur oncle en fut investy. Aussi eut cestuy Charles le Bel une seule fille, nommee Blanche, laquelle se contenta d’ avoir pour son partage le Duché d’ Orleans. Concurrans donques unanimemment cinq heritieres, qui precedoient cest Edouard, lesquelles sans aucune controverse s’ estoient demises de tous leurs droicts sur les masles: & la pluspart mesmement d’ entr’ elles au profit de Philippes de Valois, il n’ y avoit pas grand pretexte pour lequel Edouard deust quereller le Royaume, sinon que contre raison il fut induict à ce faire, à la solicitation & poursuitte de Robert d’ Artois, pour la consideration par moy cy dessus touchee. Ceste querelle appresta à plusieurs gens de bon esprit à escrire, les uns en faveur des François, & les autres en faveur des Roys d’ Angleterre. Polidore Virgile, ennemy capital de nostre nation, se crucie & crucifie dans son Histoire d’ Angleterre, pour le tort qu’ il dit que nous tenons aux Anglois: Entre les nostres Paul Emile (homme advisé en tout le cours de son Histoire) a plus modestement discouru ce subject: Claude Seissel Archevesque de Thurin, en a faict un traicté exprés qu’ ils intitule la loy Salique: mais entre tous j’ ay leu un discours escrit à la main, intitulé: Traicté auquel est contenuë l’ occasion ou couleur pour laquelle le feu Roy Edouard d’ Angleterre se disoit avoir droict à la Couronne: Qui fut composé par un nommé Jean de Monstrueil Prevost de l’ Isle, auquel livre sont discouruës amplement les raisons qui sont à l’ avantage tant de l’ un que de l’ autre party. Et certes ce n’ est pas chose qu’ il faille escouler soubs silence, que combien que jamais nous n’ ayons veu en France, femme qui se dist Royne de France, à cause d’ elle, sinon par adventure Catherine fille de Charles VI. par la capitulation qu’ il fist (estant lors mal ordonné de son bon sens) avec Henry d’ Angleterre, toutesfois ceste loy ne se trouva pas tousjours avoir lieu és Duchez & Comtez, bien qu’ ils semblent être membres dependans de nostre Couronne. Car on lit que Henry deuxiesme de ce nom Roy d’ Angleterre, devint grand en toute extremité, par le moyen de deux filles, & que par l’ une d’ icelles, qui estoit Matilde sa mere, luy escheut le Duché de Normandie, & par Leonor son espouse fille & heritiere du Duc Guillaume d’ Aquitaine, il annexa à sa Couronne les Duché d’ Aquitaine & Comté de Poictou. Se trouvera aussi que Charles frere de sainct Louys espousant Beatrix fille du Comte de Provence, eut à l’ occasion de sa femme ce Comté. Et Alphonse son autre frere celuy de Tholoze, en mariage faisant de luy avec la fille unique de Raimond: Et semblablement que par la mort de Henry Roy de Navarre Comte de Champaigne, & de Brie, Jeanne sa fille, se conioignant par mariage avec Philippes le Bel, comme seule heritiere de son pere, raporta à nostre Couronne les pays de Brie, & Champaigne qui y sont depuis demeurez, jusques à present. Voire que comme ainsi fust que depuis les Comtes d’ Eureux voulussent debattre iceux pays encontre le Roy, soustenans qu’ ils leur appartenoient à raison de Jeanne fille unique du Roy Louys Hutin, de laquelle ils estoient descendus, leur fut donné en recompense par Charles VI. la ville de Nemours, avec ses appartenances & dependances: & fut le tout erigé en Duché. Et en cas semblable, estant le Comté de Flandres tombé en quenoille, ne se trouve point que Charles le quint en pretendist lors reünion, mais au contraire il apanagea, au grand dommage de ses successeurs, Philippes son frere, de la Bourgongne, pour en faire le mariage avec la Comtesse de Flandres.

Qui nous doit assez rendre asseurez que l’ article de ceste Loy Salique, ne fut pas tousjours observé aux membres comme au chef, paradventure par induë usurpation que l’ on faisoit sur noz Roys. Toutesfois (comme toutes choses se policent par succession de temps) les affaires de France sont pour le jourd’huy reduictes en tel train, que les pays que l’ on pretend avoir esté anciennement donnez en apanage aux enfans de France, soit en Duchez ou Comtez (defaillant l’ hoir masle) retournent à leur premiere Nature, je veux dire à la Couronne, de laquelle ils sont sortis. Et en ceste façon le veirent nos ancestres pratiquer pour la Bourgongne, lors que par la mort de Charles, dernier Duc de Bourgongne, le Duché tomba és mains de Marguerite sa fille, qui fut mariee avec Maximilian, bysayeul du Roy des Espagnes. Mesmes long temps auparavant (comme j’ ay deduit cy dessus) par arrest qui fut donné du consentement de tous les Pairs, contre le Roy de Sicile, les Comtez de Poictou & d’ Auvergne, furent reunis à la Couronne par faute d’ heritiers masles d’ Alphons, combien qu’ à prendre les choses suyvant la commune Loy des successions, ce Roy de Sicile fut le plus proche habile à y succeder. Et telle question, à peu dire, a grandement appresté à jargonner aux Docteurs de Droict: Non pas proprement sur le fait des Apanages, mais bien pour sçavoir si tant qu’ il y avoit hoirs masles en une ligne, les filles, quoy qu’ elles fussent plus proches (voire en ligne directe) devoient être receuës aux successions des Duchez, se trouvans les uns & autres bigarrez en opinions.