Des Tresoriers Generaux de France.
CHAPITRE VIII.
L’ ordre du temps, & la dignité des Tresoriers de France requeroient que je discourusse d’ eux, auparavant que de parler des Generaux, toutesfois ayant voulu monstrer que les Generaux avoient pris leur source & origine de l’ Assemblee des Estats, je leur ay donné la premiere pointe par le chapitre precedant, pour donner puis apres lieu aux Tresoriers, qui de tout temps & ancienneté avoient l’ œil & intendance sur le Domaine. On appelloit anciennement le Domaine de la Couronne, Tresor, comme estant le vray Tresor sur lequel nos Roys devoient establir le fonds de leurs despences. Et de ceste ancienneté encores en avons nous ceste remarque en la Chambre des Comptes de Paris, parce qu’ entre les six Chambres des Auditeurs, il y en a une particuliere, que l’ on appelle Chambre du Tresor, en laquelle on doit distribuer tous les Comptes concernans le Domaine. La recepte particuliere du Tresor (ainsi le veux-je icy appeller avecq’ nos anciens) appartenoit du commencement aux Baillifs & Seneschaux dedans leurs destroicts, & depuis pour ne les destourner de l’ exercice de la Justice, on fit des Receveurs particuliers pour cest effect dont les receptes aboutissoient au changement du Tresor, qui en estoit le Receveur general, assisté d’ un Controolleur que l’ on nommoit Clerc du Tresor. De là vint que celuy qui estoit ordinateur de ces deniers, fut aussi appellé Tresorier de France. Et du commencement n’ y en avoit qu’ un par tout le Royaume que l’ on avoit tiré de la Chambre des Comptes. Sous le regne de Philippes de Valois, on y en adjousta un autre, chose qui se continua longuement. Du temps du Roy Charles le Quint, d’ ordinaire il y en eust trois. Et depuis son decés il n’ y eut rien si certain que l’ incertain en ce nombre, tantost trois, tantost quatre, tantost cinq & six: Puis on les reduisoit au nombre ancien de deux, mais tout soudain l’ ordonnance en estoit enfrainte: parce que c’ estoient charges dont les Princes, sous l’ authorité du Roy gratifioient leurs favoris, aussi bien que de celles des Generaux: Par l’ ordonnance du premier de Mars 1388. il fut dit qu’ il n’ y en avroit que trois, deux desquels seroient tenus de faire leurs chevauchees tous les ans, pour voir en quel estat estoit le Domaine, y remedier sur les lieux, & d’ en faire leurs procés verbaux: le troisiesme devoit demourer dans Paris, pour ordonner des deniers qui estoient pardevers le Changeur du Tresor.
De leur premiere institution & long temps apres ils n’ avoient aucune jurisdiction contentieuse, toutesfois se recognoissans plus anciens officiers que les Generaux, mesmes que leur charge estoit beaucoup plus favorable, pour avoir l’ intendance des deniers ordinaires, & non extraordinaires, aussi voulurent-ils avecques le temps jouyr de mesme privilege que les autres.
Le plus ancien registre où je trouve être faite mention des Tresoriers sur le fait de la Justice, est de l’ an 1390. où je trouve unes letres de l’ unziesme Avril, verifiees en la Chambre des Comptes, par lesquelles Charles sixiesme donne Maistres Guy Chrestien, & Pierre de Mets, pour compagnons, à maistres Nicolas de Maulregard, Jean Saulnier, & Matthieu de Liviere, lesquels l’ avoient long temps seruy en ceste charge de Tresoriers: Veut que Maulregard & Liviere vacquent & entendent principalement au gouvernement & distribution des deniers: Saulnier, Chrestien, & de Mets à l’ expedition & vuidange des procés qui concerneroient le Domaine. Depuis ce temps l’ exercice de la Justice demoura pardevers les Tresoriers, les uns estans appellez Tresoriers sur le fait des Finances, & les autres sur le fait de la Justice. Chose qui fut aussi trouvee abusive: & de fait en deux reformations generales de l’ an 1404. & l’ an 1407. il fut entre-autres choses ordonné qu’ il n’ y avroit plus que deux Tresoriers de France, ainsi que d’ ancienneté, & que de là en avant nul ne seroit plus Tresorier sur le fait de la Justice: Mais bien que s’ ils survenoient en leur Chambre quelques differents pour le Domaine; ils pourroient prendre deux Maistres de la Cour de Parlement, ou de la Chambre des Comptes, pour les terminer ensemblément. Ny pour cela ne furent ces estats supprimez tout à fait: Jamais n’ y eut en nostre France plus de corruption qu’ il y avoit lors, ny plus de corrections: car les mesmes corrections faisoient part de la corruption, n’ estans que belles promesses revestuës d’ Edict, sans effect. Les Princes & grands Seigneurs abusans de la foiblesse du sens de leur Roy, se donnoient tel jeu qu’ ils vouloient, & pouvoient tout ce qu’ ils vouloient. Ils faisoient augmenter le nombre des Officiers, en faveur de leurs domestiques, nonobstant les Edicts de suppression, mesmes joüyent à boute-hors, faisans chasser ceux qui estoient en charge, pour leur surroger de leurs gens. Toutes choses estans en desordre, on assembla les trois Estats dans Paris en l’ an 1413. où entre autres doleances l’ Université de Paris se plaignit, qu’ il y avoit six Tresoriers de France sur le fait du Domaine, & quatre sur le fait de la Justice, qui s’ estoient infiniement enrichis de la despoüille du pauvre peuple: Pareilles plaintes contre les Generaux des Finances: Surquoy par le premier article de la reformation, le Roy declara qu’ il supprimoit tous autres Tresoriers, & Generaux, & qu’ il n’ y en avroit plus que deux, pardevers lesquels resideroit toute la charge des Finances, de quelque nature qu’ elles fussent, qui seroient appellez Commis des Finances, lesquels seroient esleuz en la Chambre des Comptes par le Chancelier, appellez avec luy quelques Seigneurs du grand Conseil, du Parlement, & des Comptes. Quant aux Generaux de la Justice, il y fut pourveu, comme j’ ay dit par l’ autre chapitre: Mais pour le regard des Tresoriers sur le fait de la Justice, nulle mention. Et depuis ce temps-là je ne voy point que leur jurisdiction ait eu vogue. Tout ainsi qu’ elle s’ estoit insinuee de soy-mesmes, par un droit de bien-seance, aussi s’ anichila-elle de soy-mesme: Ce fut un esclair d’ histoire, presque aussi tost amorti, qu’ allumé. Et qui de ce en voudra sçavoir la raison, il est aisé de la rendre: Car d’ un costé la Cour de Parlement, d’ un autre la Chambre des Comptes pretendoient diversement chacune endroit soy, ceste charge leurs appartenir. D’ ailleurs les Seneschaux & Baillifs sans foule & oppression des sujets, cognoissoient dedans leurs destroicts de matieres domaniales en premiere instance, & la Cour de Parlement par appel. Il n’ en prit pas ainsi aux Esleuz & Generaux: Car les tailles, aides, & subsides, estans charges qu’ on levoit extraordinairement sur le peuple, aussi convint-il avoir Juges extraordinaires & nouveaux, pour juger tant en premiere, que seconde instance, les differents qui en provenoient. Au demourant, quant à la Chambre du Tresor, où nous voyons aujourd’huy quelques Conseillers qui jugent du Domaine, c’ est une invention moderne trouvee par le Roy François premier, & mise en œuvre pour trouver deniers. Invention qui ne s’ estend que dans les limites de la Prevosté & Vicomté de Paris, Bailliages de Senlis, Melun, Briconterobert, Estampes, Dourdan, Mante, Meulant, Beaumont sur Oise, & Crespy en Vallois.
Mais pour ne m’ eslongner de mon but, qui est des Finances, en ceste Assemblee des Estats en l’ an mil quatre cens treize, le Roy Charles sixiesme avoit, comme j’ ay dit, promis, qu’ il n’ y avroit plus que deux qui sous le nom de Commis ordonneroient des Finances, toutesfois soudain apres la roupture des trois Estats, on ne s’ en souvint plus. Vray que depuis ce temps-là il y eut presque ordinairement en ceste France quatre Tresoriers, & autant de Generaux des Finances, qui tenoient grand lieu entre nous: Et continua cest ordre, jusques au temps du Roy François, lequel au lieu du Changeur du Tresor, & Receveur general des Aides, crea en l’ an mil cinq cens quarante trois, seize receptes generales, pour recevoir indifferemment toutes sortes de deniers, fussent du Domaine ou des tailles, aides, & subsides. Et apres luy le Roy Henry deuxiesme par son Edict du mois d’ Aoust, mil cinq cens cinquante trois, adjoustant une dixseptiesme recepte, voulut aussi qu’ il y eust dixsept ordinateurs des Finances, qui ne porteroient plus qualité separee de Tresoriers & Generaux, ains seroient nommez Tresoriers Generaux de la France: Faisant par ce moyen oublier la distinction qu’ il y avoit auparavant entre les deniers ordinaires & extraordinaires des Finances. Je vous laisse tout ce qui se passa depuis pour ces Estats, sous le mesme Henry II. & la confusion & chaos que Henry III. apporta non seulement en la multiplication de ces Estats, mais aussi aux creations nouvelles des Eslections & Esleuz, resignant ceste histoire à celuy qui pour ne s’ en donner desplaisir, se pourra donner loisir de l’ escrire.