3. 17. Des Graces, Expectatives, Mandats, Indults Apostolics, Exactions faictes en Avignon,

Des Graces, Expectatives, Mandats, Indults Apostolics, Exactions faictes en Avignon, & du remede que nostre Eglise Gallicane y apporta. 

CHAPITRE XVII

Je ne veux point que l’ on pense que j’ aye fait ce chapitre au desadvantage du Siege de Rome: au contraire c’ est son exaltation, pour monstrer que la primace de nostre Eglise ne pouvoit être exercee, qu’ au lieu que sainct Pierre avoit choisi pour luy & ses successeurs, sans qu’ il en advint un scandale. Belle chose & digne d’ être trompetee aux oreilles de tout le monde, que Dieu establissant sa vraye Religion, voulut que la ville de Rome, Siege ancien de l’ Empire, fut aussi le premier Siege de son Eglise, sur lequel toutes les nations jetteroient leurs veuës. 

N’ attendez de moy en tout ce chapitre qu’ un chaos, pesle mesle & confusion des affaires de nostre Eglise, dont nous fusmes en ceste France les premiers forgerous. Toutes & quantesfois que noz Roys parerent aux coups de Rome par les armes de nostre Eglise Gallicane, toutes choses leur succederent à point sans scandale. Mais quand ils y voulurent apporter de l’ homme, & manier nostre Religion, comme une affaire d’ Estat, ils gasterent tout. Je vous ay cy-dessus discouru la querelle de Boniface VIII. & Philippes le Bel, & comme les desseins du Pape avoient esté rendus illusoires. Toutesfois Boniface estant decedé & l’ interdiction levee par Benoist XI. son successeur, qui ne siegea que huict mois, Clement V. Gascon, estant fait Pape, tout le soin de Philippes le Bel fut de s’ entretenir non seulement en bon menage avecq’ luy, mais par un nouveau dessein, pour ne tomber à l’ advenir au desarroy où il s’ estoit veu, projetta de l’ attirer en France avecques toute la Cour, a fin que deen avant les Papes & les Roys de France eussent occasion de viure en perpetuelle alliance. Ce qui en facilitoit le passage, estoit que Jeanne Comtesse de Provence avoit fait present de la ville d’ Avignon & du Comtat, au sainct Siege.

Je ne sçay par quel destin le pays de Provence semble avoir presque tousjours eu sa fortune liee avec celle d’ Italie. C’ est la premiere de la Gaule qui fut conquise par les Romains long temps auparavant qu’ ils eussent desseigné de s’ impatronizer de tout le pays. Et laquelle leur estoit si agreable qu’ entre toutes les autres Provinces à eux subjectes, ceste-cy fut d’ un mot special appellee Province sans suitte de parole, comme la recognoissant par cela, l’ une des plus belles Provinces qu’ ils eussent. Et depuis, bien qu’ elle se fust separee de la domination d’ Italie par l’ envahissement que les Visegots en firent & de tout le Languedoc: Toutesfois Theodoric Roy des Ostrogots ayant usurpé l’ Italie, re-unit de rechef avecq’ l’ Italie ce mesme pays de Provence, estant fait tuteur d’ Atalaric Visegot son arriere fils. Pareillement au partage des trois enfans de Louys le Debonnaire, à Lothaire son fils aisné escheut l’ Italie avecq’ la Provence. Et jaçoit que depuis selon les mutations des regnes, il fut erigé en Royaume par Charles le Chauve, & donné à Bosson son beau frere: si est-ce qu’ encores advint-il que Louys fils de Bosson se fit Roy d’ Italie, & apres luy Hugues, l’ un de ses successeurs: En cas semblable, long temps apres, furent les Estats de Naples, Sicile, & de Provence, unis soubz mesmes seigneurs. Et tout ainsi qu’ au temporel, le semblable advint au spirituel. Parce que dés le temps mesmes de sainct Gregoire, l’ Eglise Romaine avoit quelques biens, & heritages à elle appartenans dont l’ Evesque de Vienne en avoit occupé partie: Duquel bien sainct Gregoire parle assez souvent en ses Epistres, l’ appellant Patrimoniolum, & le recommande à ceux, ausquels il avoit quelque part en France. Mesmes y envoya Vincent Soudiacre pour le gouverner. Pareillement les premiers Evesques des Gaules, qui embrasserent la grandeur & authorité du sainct Siege, sont ceux de Provence (quand je dis Provence, j’ entends aussi le Dauphiné, qui n’ estoient vers ce temps là separez) & les lettres les plus frequentes que verrez être adressees par sainct Gregoire à noz Evesques, sont principalement à ceux de Provence. Et finalement fut donné aux Papes Avignon, & autres villes adjacentes par un certain instinct, & pour entretenir ceste ancienne liaison, voire que l’ on dit encores Provence être un Pays d’ obeissance de la Papauté.

Suivant le nouveau conseil de Philippes le Bel, le Pape Clement V. se retire en la ville d’ Avignon, où ayant par mesme moyen attraict tout l’ attirail de Rome, bien que le Roy pensast par ce moyen avoir mieux estably ses affaires, si est-ce que le plus grand malheur qui advint jamais à l’ Eglise, fust ceste retraicte. Car le Pape estimant que le Roy luy estoit grandement redeuable de ceste gratification, se persuada aussi qu’ il le devoit en contr’eschange gratifier de tout ce qui luy seroit agreable. Chose dont il ne l’ eust osé esconduire. De sorte que lors commencerent à venir en desordre les Mandats, & Graces expectatives, tant generales que particulieres: & pareillement les exactions de Cour de Rome sur les Beneficiers: (Car encores que le Siege se tint dans Avignon, si l’ appelloit on tousjours Cour de Rome) & de mesme suitte les Decimes, que depuis l’ on imposa dessus le Clergé. Estans les choses arrivees en tel excés, que nul homme de vertu ne pouvoit obtenir, voire esperer un seul Benefice, ains tomboit le tout à la table des Cardinaux d’ Avignon. A quoy mesmement prestoient l’ espaule les plus grands Seigneurs du Royaume qui avoient part au gasteau.

Ces Graces expectatives estoient Mandements, par lesquels les Papes lioient les mains des Ordinaires, leur enjoignans que le premier Benefice vacquant de telle ou telle condition, fut conferé à ceux, qui leurs estoient par eux recommandez. Et ne sçavoit-on anciennement que c’ estoit de telles reservations en l’ Eglise. Qui faict qu’ en tout le Decret de Gratian il n’ en est faicte nulle mention. Depuis on les mit dans Rome en avant, mais avecq’ quelque sobrieté, premierement par prieres, puis par commandemens expres. Et n’ avoit accoustumé un Pape de greuer, sinon une fois une Eglise, & encores d’ un Benefice tant seulement. Pour ceste raison estoit coustumier d’ adjouster tousjours ceste clause, moyennant que nous ne vous en ayons point escrit pour un autre. Avec le temps on passa plus outre, & neantmoins voyant que les Ordinaires se rendoient quelques fois refractaires à ces Mandemens, s’ il estoit advenu qu’ au prejudice d’ un Mandataire, les Evesques en eussent pourveu un autre, le Pape vouloit qu’ ils fussent contrains de bailler pension à son denommé, jusques à ce qu’ il eust esté remply du premier Benefice vacquant. Et pour encores être mieux obey, il envoyoit premierement lettres monitoriales, ou preceptoriales à l’ Evesque, & s’ il se rendoit difficile à y obeyr, il decernoit puis apres des lettres executoriales. C’ estoit qu’ il addressoit ses bulles à un Abbé, ou autre ayant une dignité Ecclesiastique, pour mettre à execution ses Bules, & pourvoir son mandataire à la premiere vacquation qui adviendroit d’ un Benefice. La meilleure de toutes ces constitutions Decretales estoit contre tout ordre de droit, toutesfois un tas de Canonistes Courtizans, les voulurent flatter de propositions plus hardies, soustenans que c’ estoit une chose de mesme effect & vertu, de voir un benefice mis en reserve par le Pape, comme s’ il eust vacqué en Cour de Rome. Et depuis ceste invention se meit au desbord, & fit sa derniere preuve en France, ainsi que je disois maintenant dessouz le siege d’ Avignon.

Comme pareillement fut celle des Exactions, lesquelles estoient de trois especes. L’ une qui venoit soubs le pretexte des visitations, l’ autre soubs le nom de vacquans des premieres annees des benefices, que nous appellasmes depuis Annates: & la derniere soubs celuy des Decimes. En tant que touche la premiere, elle prit son estoc de plus loing, & voicy comment. Le principal soing des Evesques est d’ avoir l’ œil sur toutes leurs ovailles, & par special sur les personnes Ecclesiastiques. Et à ceste cause leur estoit enjoinct par tous les plus anciens Concils de visiter tous les ans leur Clergé: C’ est une charge fonciere qui est annexee à leur mitre, dont ils sont redeuables envers leurs inferieurs, tant s’ en faut que leurs inferieurs leurs en doivent payer chose aucune. Toutesfois comme il eschet ordinairement que les plus foibles soient tousjours opprimez par les plus forts, aussi petit à petit il advint que les Evesques faisans, ou en personnes, ou par l’ entremise de leurs Archidiacres leurs visitations, ils se firent payer quelques deniers pour le defroy de leur despence. Chose qui fut tres estroittement defendue par l’ Eglise Gallicane, en un Concil tenu à Chalons sous la lignee de Charlemagne. Qui monstre que deslors l’ abus commençoit à naistre. Or le Pape se pretendant Ordinaire des Ordinaires, avoit dés pieça attiré par devers soy ce droict de Visitation: lequel on tourna en coustume depuis le siege d’ Avignon: Car fust que l’ on visitast ou non, il fassoit payer au Pape le droict de ces Visitations, appellees autrement Procurations. Chose dont les Beneficiers avoient passé condamnation volontaire. De tant qu’ ils sentoient beaucoup moins de charge, & incommodité en leurs benefices, n’ estans visitez, que s’ ils l’ eussent esté. 

De ceste mesme hardiesse Jean vingt-deuxiesme, successeur de Clement cinquiesme, introduisit sur les Benefices, les Annates: Qui estoit, que de tous les benefices vacquans en & au dedans le Royaume de France, il pretendoit que le revenu de la premiere annee luy estoit deu. C’ est luy qui fit dresser les Extravagantes, tout ainsi que Clement les Clementines, de la lecture desquels livres on peut aussi aisement recueillir quel estoit l’ Estat de ce temps là. Et au milieu des corruptions telles que dessus, encores s’ en engendra une autre de plus pernicieux exemple que celles-cy, & qui à la longue a presque apporté la ruine, & desolation de l’ Eglise. Ce fut d’ imposer des Decimes par les Papes sur tout le Clergé, lesquelles auparavant on n’ avoit accoustumé de lever que par devotion pour subvenir aux voyages d’ outremer: & comme un abysme en produit aisement un autre, aussi l’ abus s’ y planta à perte de veuë. Boniface IX. confirma les Annates à toute sa posterité par une sentence Decretale. Clement septiesme d’ un autre costé ordonna que de tous les Benefices de la France il prendroit la moitié du revenu pour l’ entretenement de son Estat, & de ses Cardinaux, sur peine de privation totale des Benefices à ceux qui s’ y opposeroient: & eut l’ Abbé de S. Nicaise de Rheims ceste commission: d’ avantage fit plusieurs autres exactions non auparavant cogneues par l’ ancienneté. Nous trouvons une Ordonnance de Charles sixiesme, de l’ an mil trois cens octante cinq, où il recite que trente trois Cardinaux creatures de Clement VII. en Avignon, prenoient la plus grande partie des fruicts & emolumens des benefices de la France, par ce qu’ ils n’ en avoient ailleurs, defraudans par ce moyen les gens doctes des Universitez, du talent qui leur estoit deu. D’ avantage, que combien qu’ un Evesque peust tester & creer un executeur de son testament & delaisser sa succession à un heritier ab intestat: toutesfois soudain qu’ il estoit decedé, le Pape envoyoit arrester par un Collecteur tous ses biens meubles, & immeubles, tant propres, qu’ acquests, & les approprioit à son usage, sans en reserver une seule parcelle, pour la reparation de l’ Eglise, & sans payer les debtes du deffunct, comme s’ il n’ en eust peu contracter aucune, au prejudice de ses droicts. Et le semblable faisoit à l’ endroict d’ un Abbé estant decedé, auquel son Eglise devoit succeder. D’ ailleurs tant & si longuement qu’ une Abbaye vacquoit, & jusques à ce que son successeur eust pris possession paisible, le Pape en percevoit les fruicts. Adjoustant que les collecteurs levoient au profit du Pape le revenu du premier an de tous les benefices vacquans par resignation, permutation, ou autrement, en quelque façon que ce fust, voire encore qu’ ils vacquassent en Regale, ou en Patronage lay, & que les Cardinaux prenoient pensions enormes sur les Benefices, ne laissans moyens aux titulaires d’ eux nourrir & alimenter. Pour ces causes le Roy veut & ordonne que les Juges ordinaires procedent par voye de saisie sur ces pensions, ensemble sur le temporel, des Eglises, pour proceder aux reparations du consentement des personnes Ecclesiastiques: veut aussi que les heritiers des Evesques leur sucedent, & les Monasteres aux Abbez, & que le Pape ne puisse rien prendre sur les benefices, qui estoient en Regale, ou patronage lay, c’ estoit aucunement se garentir du desordre, mais non tout à fait, comme depuis nous feismes soubs le Pape Benoist treziesme: car à la verité en ce grand besoin l’ Eglise Gallicane monstra à bonnes enseignes ses forces.