4. 21. De la communauté des biens meubles, & conquests immeubles

De la communauté des biens meubles, & conquests immeubles qui est en nostre France entre le mary & la femme.

CHAPITRE XXI.

Si vous parlez aux Romains, encores qu’ ils declarassent le mariage estre une societé individuë d’ entre le mary & la femme, toutes fois ils avoient separation de biens, & n’ alloit cette individuité qu’ aux corps. Si aux François, combien que le mary & la femme soyent separez des biens paternels, maternels, & collateraux qui leur sont escheuz, & qui leurs escheent pendant leur mariage, ils sont neantmoins communs en tous meubles, & encores aux conquests immeubles par eux faits ensemblement. Si vous me demandez quelle des deux on doive estimer la plus juste loy: je vous renvoyeray a cette belle dispute qui fut traictee entre les Grecs & Indois Calatiens devant Darius Roy de Perse. Car comme ainsi fust que les Calatiens pensassent grandement honorer la memoire de leurs peres & meres, apres leurs deceds de manger leurs corps, n’ estimans qu’ ils peussent recevoir plus digne & honorable sepulture que dedans les enfans, les faisans, si ainsi le faut dire, reviure par eux mesmes. Et les Grecs feissent brusler leurs corps, pour puis loger leurs cendres dedans un cercueil: Quoy faisans ils pensoient les garantir à jamais de la pourriture. Darius demandant aux Grecs ce qui leur sembloit de la sepulture des Calatiens, luy respondirent qu’ elle estoit pleine d’ impieté: & au contraire les Calatiens, que celle des Grecs estoit bastie sur une cruauté barbaresque. Interrogez ceux qui sont nourris au pays du droict escrit, ils vous diront que la separation de biens est sans comparaison meilleure que la communauté, & ceux du pays coustumier donneront leur arrest en faveur de la communauté de biens: Tant a de tyrannie sur nous un long & ancien usage. Mais en cette diversité de mœurs & d’ humeurs, me plaist grandement l’ opinion du grand Aristote au troisiesme de ses Politiques, lequel nous enseignant quelles doivent estre les fonctions du mary & de la femme pour l’ entretenement & manumention (manutention) de leurs familles, dit que le propre du mary est d’ acquerir, & de la femme de conserver. Puis doncques qu’ en ce mesnage commun chacun y contribuë du sien, il semble merveilleusement raisonnable que celle qui a part au labeur, participe aussi au profit. Et à tant que nos anciens n’ introduisirent pas sans grande raison cette communauté de biens entre les gens mariez.

Ceux qui pensent foüiller bien avant dedans l’ ancienneté, la vont rechercher dedans les Gaules, esquelles lors qu’ on se marioit, chacun apportoit du bien de son costé, auquel succedoit celuy qui estoit survivant des deux. Qui n’ est pas representer la communauté dont nous parlons. Aimoïn le Moine au quatriesme Livre de son Histoire, dit que Pepin Maire du Palais du Roy Sigisbert, fut delegué vers le Roy Clovis son frere, pour partager les thresors du Roy Dagobert leur pere, & que dedans la ville de Compieigne les partages en furent faits par esgales portions, Tertia parte tamen ex omnibus, quae Dagobertus acquisierat, postquam Nautildem sibi sociaverat, ipsi Reginae servata. Qui monstre que deslors par commun usage la communauté alloit pour le tiers aux femmes. Ce que le Roy Louys le Debonnaire voulut faire passer par loy, au quatriesme livre de ses Loix, & du Roy Lothaire son fils article 9. Volumus (dit le texte) ut uxores defunctorum post obitum maritorum tertiam partem collaborationis, quam simul in beneficio collaboraverunt, accipiant, Loy du depuis encores observee en la femme des Roys subsequens: ainsi l’ apprenons nous de Flodoard, la part où parlant de Raoul Roy de France: Rodulphus (dit-il) Rex Franciae Placitum tenuit ad Attiniacum; Tunc inde profectionem parans in regnum Lotharij, gravissimo languore corripitur, cuius vi recidiva penè desperatus à pluribus, Rhemis ad sanctum Remigium se deferri petiit, ubi nonnulla dona largitus est. Caeterum praeter uxoris partem, quicquid sibi thesaurorum supererat, per Monasteria Franciae, Burgundiaeque direxit. Il ne cotte pas quelle part, & portion devoit appartenir à la Royne. Mais de ce passage je recueille qu’ il n’ estoit pas en la puissance du mary, de disposer à son plaisir de tous les biens de la communauté au prejudice de sa femme: Puisqu’ un Roy de France y apporta tant de respect qu’ aumosnant diversement à unes & autres Eglises pour le recouvrement de sa santé, il ne voulut, ou n’ osa toucher à la portion congruë de la Royne sa femme. Comme les choses se sont du depuis passees, je ne voy point qu’ il y ait eu communauté entre nos Roys & nos Roynes, ils acquierent diversement sous leurs noms, & n’ y a rien de commun entr’eux pour cet esgard, ny aux acquests, ny aux meubles. D’ un autre costé ce qui alloit anciennement au tiers pour la femme, par succession de temps est allé à la moitié parmy le peuple, & Provinces ausquelles la communauté a lieu, & au surplus le mary peut ordonner de tous les meubles, & conquests au profit de qui que soit, moyennant que ce ne soit une personne qui luy attouche de proximité de lignage, & par contract entre vifs: Car quant aux dispositions prenans traict à mort, il ne luy est loisible d’ outrepasser sa moitié à qui que soit.