4. 22. Sommaire deduction de nombres François,

Sommaire deduction de nombres François. Et pourquoy par V. nous signifions cinq, & par X. dix, par L. cinquante & par D. cinq cens.

CHAPITRE XXII.

Geofroy Thory, homme qui en son Livre du Champ Fleury, discourant sur les lettres Antiques ou Attiques, s’ est par mesme moyen estudié de nous enseigner quelques choses appartenantes à l’ embellissement de nostre France, entre autres poincts, où il discourt dont procede qu’ en nostre Arithmetique Françoise nous facions valoir la lettre de V. pour cinq, & celle de X. pour dix, D. pour cinq cens, & L. pour cinquante, qui semblent n’ avoir aucun rapport aux nombres, pour lesquels elles sont employees, estime que le V. fut employé pour cinq, parce que c’ estoit la cinquiesme voyelle, & depasse en plusieurs divinations fantasques (fantastiques), ausquelles je renvoye le Lecteur s’ il se veut donner le loisir de les lire. Je ne m’ amuseray pas grandement à le contredire, ains diray seulement que si sa conjecture avoit lieu, je demanderois volontiers dont vient que nous ne mettons les autres quatre voyelles A. E. I. & O. pour designer selon l’ ordre Abecedaire, les premier, deux, trois, & quatriesme nombres, tout ainsi que nous employons V. pour le cinquiesme. Pourquoy encores signifions nous le nombre premier par I. qui est la troisiesme voyelle. Je veux doncques dire (& le disant je ne seray desadvoüé) que le discours de nostre Arithmetique a pris son origine de la mesme Nature, laquelle nous apprit premierement de conter par nos doigts, un, deux, trois, & quatre: chacun desquels represente la figure d’ un I. & si vous venez du doigt que l’ on appelle Indice à celuy du Poulce, vous y voyez la figure & remembrance d’ un V. antique, en esplanissant vostre main. De là à mon jugement est venu que quand nos anciens, voire les Romains conterent, ils employerent I. pour les quatre premiers nombres. Par exemple I. II. III. IIII. pour signifier un, deux, trois, & quatre, & userent puis apres de l’ V. pour le cinquiesme nombre, representé entre le Poulce, & le doigt qui luy est le plus proche. Or que par I. on representast mesmes aux Romains tantost un, tantost deux, trois, & quatre nombres, nous l’ apprenons de ce vers de Martial au second livre de ses Epigrammes où il dit, Que si quelqu’un trouve son premier & second livre trop briefs, il le peut garentir de cette faute, ostant un I. du second livre.

Unum de titulo tollere Iota potes.

C’ est à dire, au lieu de ces deux I. qui signifioient deux, que l’ on y en mit un seulement. Cette demonstration oculaire me faict tomber à la divination de mon V. pour cinq. Si bonne ou mauvaise, je m’ en rapporte au jugement du Lecteur. Bien vous diray-je que puis que par une leçon de nature nous avons pris nos quatre I. de nos quatre doigts, comme estant le premier ject & calcul qui despend de nous, j’ ayme mieux l’ emprunter de là, que de V. pour cinquiesme voyelle. Cette maxime presupposee, comme premier fondement de nos nombres, il est aisé de juger pourquoy la lettre de X. fut employee pour le nombre de dix. Parce qu’ en sa figure elle represente haut & bas deux V. Tout de cette mesme raison la lettre C. estant mise pour signifier le nombre de cent l’ on fit valoir L. pour cinquante, faisant la moitié d’ un C. representé en quelques vieux characteres sous cette figure L. Et ainsi l’ ay-je autresfois veu, moy estant Escolier à Tholoze en quelques vieux Epitaphes, & se peut encores voir dedans Paris, au Monastere S. Germain des Prez, au soubassement de l’ Autel de la Chapelle de S. Germain, en certaines anciennes lettres gravees en pierre de taille, autour d’ une Croix qui y est, ausquelles on pourra avoir recours. Sur ce mesme modele faut dire que M. representant la premiere lettre de Mille, fut employee pour figurer ce nombre: & D. pour cinq cens, comme faisant la moitié de la lettre (* omega) ainsi figuree en nos vieux moules François. Tellement que mettans toutes ces lettres ensemble, M.DC.LXVIII. nous pourrons dire qu’ elles signifient Mil six cens soixante & huict: vray que nos anciens arrivans sur le nombre de neuf mettoient un I. devant X. voulans nous donner à entendre que tout ainsi que I. mis au dessous de X. signifioit unze, aussi mis au dessus de la mesme lettre, il ne signifioit que neuf, par la substraction qui estoit faite d’ un I. & apres le dix reprenoient les quatre unitez: & pour signifier unze, douze, treize, quatorze mettoient XI. XII. XIII. XIIII (XIV). jusques au nombre de quinze, qu’ ils figuroient en cette façon XV. & ainsi de tous les autres nombres: nous signifions vingt, par deux XX. trente par trois XXX. & puis cinquante par une L. & quant à quarante par XL. & nonante XC. le tout pour la mesme raison que le IX. dont j’ ay cy-dessus discouru. Monstrant que chacun des deux nombres est moindre de dix que le cinquante & centiesme. Et n’ est pas chose qu’ il faille icy oublier, ores que de petite consequence, que quand nos ancestres escrivant ce mot un, ils y adjousterent un g. derriere en cette façon ung, qui n’ a nulle correspondance à ce mot qui vient du Latin, ny au son des oreilles: mais cette maniere d’ escrire fut introduite pour oster l’ equivoque qui pouvoit sourdre entre ce mot, & le nombre de sept. Car lisez tous les Livres anciens François manuscrits, c’ estoit une coustume familiere aux Copistes de mettre les nombres par abbregement: & s’ il estoit question d’ escrire un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huict, neuf & dix, on y mettoit I. II. III. IIII. V. VI. VII. VIII. IX. & X. & ainsi de tous les autres: Et depuis l’ invention de l’ impression nous les couchasmes tous de leur long. De façon que ceux qui premierement au lieu de mettre la figure de I. voulurent pour signifier l’ unité escrire le mot d’ un, ils y adjousterent, (comme il est vray-semblable) le g, pour oster l’ ambiguité qui se fust peu rencontrer avec le nombre de sept, escrit en lettre commune avecques un V (U), & une n, qui represente deux I (VII: Vn, Un).