De l’ Estat & condition des personnes de nostre France, avecques un sommaire discours des servitudes tres-foncieres qui se trouvent en quelques unes de nos Provinces, & de leurs manumissions.
CHAPITRE V.
Ayant par ce chapitre entrepris de discourir sur la condition des personnes de nostre France, je ne le puis bonnement faire sans en outre-passer les limites, & puiser les presens discours dans une bien longue ancienneté. Du droict primitif & originaire de nature, toutes personnes naissoient libres. Toutesfois par succession de temps s’ engendra dedans leur simplicité l’ envie de s’ accroistre en grandeur, dont sourdit le droict des armes, qui introduisit l’ usage des serfs, quand un homme ayant esté fait prisonnier de guerre, on trouva plus expediant de le conserver, que tuer. Mais pour ne rendre cette prise infructueuse, on le reduisit en une penible servitude sous l’ authorité de son maistre, qui de là en avant se donna toute puissance de vie & de mort sur luy, presque par toutes les nations, sans controlle du Magistrat souverain, & singulierement en la Republique de Rome. Vray que depuis on y mit bride sous les Empereurs. Ces servitudes du commencement s’ exerçoient de maistres à valets dedans les maisons, & ne trouve l’ on en toutes les Pandectes de Justinian, estre faite mention d’ autres. Toutesfois sur le declin de l’ Empire en fut introduite une nouvelle. Qui estoit qu’ une nation ayant esté sobjuguee, les Empereurs laissoient les possesseurs en la possession de leurs heritages, & ancienne liberté, mais avecques des redevances & charges serviles, non auparavant cognuës par les Romains. Ainsi escrivoit l’ Empereur Probus dedans Vopisque, au Senat de Rome, apres qu’ il eut reduit sous son obeïssance quelques peuples de la Germanie. Omnes iam Barbari vobis arant, vobis serunt, illis sola relinquimus sola, nos eorum omnia possidemus. Le mesme Vopisque en la vie de l’ Empereur Aurelian nous enseigne qu’ au pays d’ Hetrurie jusques aux Alpes maritimes, il y avoit plusieurs contrees pleines de broussailles & en friche. Statuerat igitur Aurelianus (poursuit-il) Dominis locorum incultorum, qui tamen vellent pretia dare, atque illic familias captivas constituere, vitibus montes conserere, atq; ex eo opere vinum dare, ut nihil redituum fiscus acciperet, sed totum populo Romano concederet. De cette maniere de serfs est plein le titre du Code De Agricolis & censitis: lesquels estoient diversement appellez, Servi censiti, adscriptitu, addicti glebae: Et je les veux en nostre vulgaire appeller Serfs Tres-fonciers, comme despendans de nostre tresfonds. Et de cette police y avoit de tout temps & ancienneté, une image en la Republique de Sparte, dans laquelle Lycurge (dit Plutarque) voulant accoustumer ses citoyens au fait des armes, laissa le mesnage de terre à une maniere de gens qui furent appellez Ilotes, pardevers lesquels gisoit le labour, avecques certaines redevansces au public. Police qui fut depuis fort familiere aux Germains, ainsi que nous aprenons de Tacite traitant de leurs mœurs. Caeterum (dit-il) servis, non in nostrum modum per familias descriptis, ministeriis utuntur. Suam quisque sedem, suos penates regit; frumenti modicum Dominus, aut pecoris, aut vestium, ut colono iniungit, & servus hactenus apparet. Caetera domus officia uxor, & liberi exequuntur. Qui est une vraye image de celle de nostre France, dont nous parlerons cy apres. Tacite vivoit sous l’ Empire de Trajan, lequel escrivant les mœurs du Germain, dit qu’ ils usoient d’ autre façon de leurs servitudes qu’ on ne faisoit dedans Rome, qui monstre que ces servitudes foncieres n’ y estoient de son temps introduites.
Apres vous avoir discouru tout ce que dessus par forme d’ avant-propos, je viens maintenant à parler de nostre France, en laquelle il faut tenir pour proposition indubitable que toutes personnes naissent libres, fors en quelques Provinces dont je parleray cy apres. Grande chose & digne d’ une remarque speciale, qu’ en toute la saincte Escriture vous ne voyez estre faite mention de cette servitude penale, sinon dedans le vieux Testament, quand Noë pour se vanger de Cam l’ un de ses enfans, qui avoit voulu descouvrir sa vergongne à ses deux freres, laquelle ils voulurent voir, il le maudit, & par mesme moyen condamna luy & sa posterité d’ estre serfs de ses deux freres, & de ceux qui leur appartiendroient.
Et combien que nostre Religion Chrestienne n’ approuvast telles servitudes tyranniques, ou si ainsi le voulez, tels servages farouches & sauvages, toutesfois apres son premier plant, ne fut tout d’ un coup plantee cette planiere liberté, qui regne entre les Chrestiens. Chose qui ne merite de preuve pour estre de foy trop asseuree. Et neantmoins en ce qui concerne l’ ancienneté de nostre France, je vous en veux icy representer deux placards qui pourront apporter quelque contentement au Lecteur. Entre les manumissions les plus signalees de Rome, il y en avoit une qui se faisoit in sacrosanctis Ecclesijs, introduite par l’ Empereur Constantin, comme nous aprenons de Sosomene dedans sa vie. De cette cy nous en avions une remarque tres-belle, en un pillastre de l’ une des portes de saincte Croix d’ Orleans avant qu’ elle eust esté ruinee par les Huguenots portant ces mots: Ex beneficio Sanctae Crucis per Ioannem Episcopum, & per Albertum Sanctae Crucis casatum, factus est liber Lantbertus teste hac sancta Ecclesia: Manumission qui alloit à la premiere servitude des Romains. De laquelle je vous ay representé trois exemples formels cy dessus au livre second Chapitre des Oblats: Et au regard de la seconde que j’ appelle icy Tres-fonciere, la remarque en est tres-belle que nous apprenons de Gregoire livre sixiesme, Chapitre quarente troisiesme, quand le Roy Chilperic envoya sa fille Rigonde pour estre mariee avecques le fils de Leuvichilde Roy d’ Espagne, entre autres presens dont il la voulut doter, ce fut de telle maniere de serfs, qu’ il nomme Fiscalins, comme estans naturellement affectez au fisc & domaine du Prince. Passage qui merite d’ estre icy representé tout au long. Ipse vero regressus Parisios (il parle de Chilperic) familias multas de domibus ficalibus auferri praecepit, & in plaustris componi. Multos quoque flentes & nolentes abire, in custodiam retrudi iussit, ut eos facilius cum filia transmittere posset. Nam ferunt multos sibi ob hanc amaritudinem vitam laqueo extorsisse, dum de parentibus propriis auferri metuebant. Separabantur autem filius à patre, mater à filia, & cum gravi gemitu ac maledictionibus discedebant. Tantus planctus in urbe Parisiaca erat, ut planctui compararetur AEgyptio. Multi vero maiores natu, qui vi compellebantur abire, testamenta condiderunt, resque suas Ecclesiis deputantes, atque petentes, ut cum puella in Hispanias introisset, statim testamenta illa, tanquam si iam essent sepulti, reserarentur. Duquel passage vous aprenez que combien que ce Roy eust toute puissance sur le corps de ses hommes & femmes Fiscalins, toutesfois il leur estoit loisible de tester. D’ autant que l’ ordre & police de testament ne fut jamais observee avecques telle Religion en France, comme en la Republique de Rome, ainsi que mesmement nous pouvons recueillir par toutes nos coustumes. Et cella mesme se voit encores observé és Provinces esquelles les servitudes tres-foncieres ont lieu, desquelles je discourray cy apres. Et n’ estoient point ces serfs pris dans la ville de Paris ny du Parisy, pays circonvoisins, ains de toutes les autres villes, comme faisans part & portion de leurs Domaines. Et de fait Chilperic ayant occupé quelques villes sur Childebert Roy de Mets son nepueu, dont il vouloit avoir la raison: dedans le mesme Chapitre vous trouvez qu’ il luy envoya Ambassadeurs expres, pour le sommer de n’ envoyer aucuns de ses serfs avecques les autres. Interea legati Regis Childeberti Parisios advenerunt, contestantes Chilperico Regi, ut nihil de civitatibus, quas de regno patris sui tenebat, auferret, aut de thesauris eius in aliquo filiam muneraret, ac non mancipia, non equos, non iuga boum, neq; aliquid huiuscemodi de his auderet attingere. Police tyrannique qui estoit encores en usage bien avant sous la seconde lignee de nos Roys, voire aux portes de Paris. La seigneurie de Charronne avoit esté aumosnee aux Religieux, Abbé & Convent de sainct Magloire, que le Roy Louys septiesme voulut affranchir de tous truages, & portoit le tiltre ces mots: Volumus quod villa quae dicitur Carrona, quam dedit Robertus cum vineis, terris, torcularibus, & servis, & ancillis, & liberis eiusdem villae, & hospitibus, à teloneo, de rebus quas pro usu suo vendiderint vel emerint, dispensentur. Et sur la fin. Non audeat aliquis homines tam ingenuos quam servos, super terram dictae villae habitantes capere, sed omnia in potestate, & dominatione Abbatis consistant. Actum Parisiis, anno ab incarnatione millesimo, centesimo, quinquagesimo nono, adstantibus in Palatio quorum nomina subintitulata sunt. Signum Comitis Theobaldi Dapiferi: Signum Guidonis Buticularii. Signum Mathaei Camerarij. Signum Mathaei Constabularij. Data per manum Hugonis Cancellarii. Titre par lequel vous voyez deux especes de sujects dedans Charronne, dont les uns estoient francs & libres, les autres serfs.
Servitude qu’ il faut rapporter à la fonciere, dont nous parlerons cy apres. Car quant à la manumission emprainte en l’ Eglise saincte Croix d’ Orleans, elle se raportoit à la premiere servitude de Rome, comme je vous ay cy dessus touché.
Je vous ay discouru tout ce que dessus, pour vous monstrer comme les coustumes ont pris divers plis, tant dedans Rome qu’ en nostre France. Et peut estre que quelqu’un dira, que les Fauxbourgs de ce chapitre sont beaucoup plus grands que la ville. Ce m’ est tout un, moyennant que ce que j’ ay discouru serve à l’ edification du Lecteur. Maintenant comme les affaires de la France vont, toute personne y est libre dés sa naissance, fors en quelques Provinces. Des libres, les uns sont nobles, les autres roturiers. Et est tout homme reputé roturier s’ il ne prouve sa noblesse, qui s’ acquiert ou par le mesnage de la plume, c’ est à dire par le benefice & lettres patentes du Prince, ou par les armes, quand on prouve par trois diverses generations d’ ayeul, pere, & petits fils, avoir esté faite profession des armes, pour le service du Roy & de sa patrie, & nul d’ eux n’ avoir esté imposé à la taille. De ces deux qualitez de Nobles & Roturiers, nous avons fait un tiers Estat des Ecclesiastics, selon que la devotion nous y porte, chose tres saincte, ou bien la commodité de nos affaires seulement, chose damnable, qui ne nous est toutesfois que trop familiere. De façon que l’ Estat de France ne consiste qu’ en trois manieres de personnes; Roturiers, Nobles, & Ecclesiastiques.
Vray que nous avons quelques coustumes particulieres, où les servitudes foncieres ont lieu, comme en celles de Meaux, Troyes, Chaumont en Bassigny, Bourgongne, Nivernois, la Marche, en toutes lesquelles il faut adjouster pour quatriesme espece les serfs tres-fonciers que nous appellons autrement gens de Main-morte condition, dont les uns sont taillables, les autres de for-mariage, les autres mainmortables, & les autres de Poursuite. Particularitez que je vous expliqueray piece à piece. Quoy faisant paravanture feray-je grand plaisir à tel qui fait le bien entendu, & neantmoins ne les entend.
Des taillables, il y en a deux especes: Les uns taillables à volonté, les autres abonnez, c’ est le mot courant des coustumes. Les taillables à volonté sont ceux sur lesquels les seigneurs levent tous les ans une taille, tantost moindre, tantost plus grande: Toutesfois non à leur pure discretion, qui se pourroit tourner en tyrannie, mais bien appellez avecques eux trois ou quatre preud’hommes resseants sur les lieux, qui sçavent les facultez & moyens du serf, & quelle a esté la recolte de son annee. Ainsi le portent toutes les coustumes particulieres que le serf est taillable à la volonté du Seigneur: & c’ est la cause aussi pourquoy on y adjouste ce mot Raisonnable: C’ est à dire qu’ il est taillable à la volonté raisonnable de son Seigneur.
Les Abonnez (que je pense devoir estre dicts Abornez) sont ceux qui par une longue prescription & laps de temps, ou par des contracts se sont abornez avecques leurs Seigneurs à certaines tailles annuelles: Et c’ est pourquoy si j’ en estois creu, on les appelleroit Abornez, non Abonnez. Et combien que ce mot de taille ne doive tomber pour le regard des seigneurs qu’ à l’ endroit des gens de serve & mainmorte condition, toutesfois és coustumes de Bourbonnois & Auvergne, il tombe aussi sur les sujects qui sont de condition libre en quatre cas. Quand le seigneur haut justicier est fait Chevalier: Quand il fait voyage outre-mer pour visiter le sainct Sepulchre: quand il est fait prisonnier de guerre, pour acquiter sa rançon: Taille autant de fois reïterable que le seigneur est fait prisonnier. Finallement quand il marie l’ une de ses filles en premieres nopces. Le tout neantmoins au dire & advis des preud’hommes, n’ estant cette taille imposable à la seule volonté du seigneur.
Quant aux serfs de for-mariage, ce sont ceux qui ne se peuvent marier sans le consentement de leur seigneur à autres, qu’ à personnes qui sont de pareille condition qu’ eux. Car si de leur privee authorité ils se marient à personnes franches, ou bien de serve condition, mais habituees sous autres seigneurs, ils doivent une amende à leurs seigneurs, telle que porte l’ ancien usage de la seigneurie. Et ces deux especes de serfs, peuvent tester de leurs biens à gens de pareille condition qu’ eux, demeurans en & au dedans de la Seigneurie, où les testateurs font leur residence, j’ entens des biens dont la coustume permet de disposer, tout ainsi qu’ aux personnes franches.
Je diray ce mot premier que de passer plus outre, qu’ au dixiesme livre des Epistres de sainct Gregoire Epistre vingt-huictiesme, addressee à Romain, Procureur Fiscal. Vous trouverez cette mesme loy de for-mariage, avoir esté par luy prescrite aux enfans d’ un serf de son Eglise, qui par luy avoit esté affranchy, qui est chose en plus forts termes, que ce qu’ on pratique en nostre France. Petrus quem defensorem fecimus, quia de massa iuris Ecclesiae nostrae, quae Vitellas dicitur oriundus sicut experientiae tuae bene est cognitum. Et idem, quia ita circa eum benigni debemus existere, ut tamen Ecclesiae utilitas non laedatur, hac tibi praeceptione mandamus, ne filios suos quolibet ingenio, vel excusatione, foris alicui in coniugio sociare praesumat, sed in ea massa cui lege & conditione ligati sunt, socientur. In quae etiam & tuam omnino necesse est experientiam eße sollicitam, atque eos terrere, ut qualibet occasione de posseßione cui oriundo subiecti sunt exire non debeant. Passage, que je vous ay cotté icy mot pour mot par expres, pour vous monstrer que la famille de celuy dont sainct Gregoire parle, estoit de condition de for-mariage avant qu’ elle fust affranchie: Et neantmoins que l’ affranchissant en tout le demeurant, il voulut qu’ elle n’ eust plaine liberté de se marier autrement que par le passé.
La troisiesme espece de serfs est de ceux que particulierement on appelle Mainmortables. Car combien que le mot de mainmortable soit un genre, qui semble s’ estendre à toutes especes de serfs tres-fonciers, toutesfois il y a coustume particuliere, où l’ on appelle Mainmortables les serfs qui mourans sans enfans yssus de bon & loyal mariage, ne peuvent tester au profit de qui que ce soit, fors jusques à la somme de cinq sols, & leur succede en tout & par tout leur Seigneur. Et de ceux-cy quelques uns sont Mainmortables envers leurs seigneurs, en tous biens meubles & immeubles quelque part qu’ ils soient assis, supposé que les heritages soient en franc alleud, ou censive: Les autres sont seulement Mainmortables en meubles: Auquel cas aussi le testateur n’ ayant enfans ne peut tester outre cinq sols, le demeurant des meubles revenant au seigneur. Et de ces deux especes de Mainmortables est parlé en la coustume de Troyes article quatriesme & sixiesme, sous le titre de l’ Estat & condition des personnes.
Tous les serfs dont j’ ay cy dessus parlé sont par moy appellez, Tres-fonciers: Parce qu’ ils sont declarez tels, à cause des terres & heritages qui furent baillees à leurs predecesseurs, ou à eux sous ces conditions serviles: Et c’ est pourquoy sagement en la coustume de la Marche chapitre 17. parlant des hommes francs, & serfs mainmortables, il est dit que toutes personnes sont de franche condition, & que ceux qui sont reputez serfs & mainmortables, c’ est à cause des terres & heritages baillez sous cette condition. Tellement que je veux croire, qu’ abandonnans leurs biens & leurs domiciles, & s’ allans habituer en lieu où il n’ y a telle servitude, ils en demeurent francs & quites, sont reduits comme les roturiers, en plaine liberté & franchise.
Vray qu’ il y a une derniere espece de serfs, laquelle non seulement regarde les heritages, mais aussi les personnes. Tellement que nous pouvons appeller les servitudes en eux, personnelles. Voire d’ une condition plus estrange que n’ estoient les serfs de Rome, qui estoient seulement tenus pour serfs quand ils estoient nez d’ une femme esclave (j’ entends de ceux qui n’ avoient esté reduits en servage par le moyen des guerres.) D’ autant que par la coustume de Nivernois, pour faire declarer un homme de serve condition, il suffit que le pere ou la mere soient serfs. Car pour rendre l’ enfant de franche & libre condition, il faut que le pere & la mere soient libres. Et est telle maniere de serfs appellee Serfs de Poursuite: D’ autant qu’ ils ne peuvent desemparer leurs domiciles sans l’ expres vouloir & consentement de leurs seigneurs: voire s’ allassent-ils confiner aux limites du Royaume, la condition de serfs reside tousjours en eux, & les peut leur seigneur poursuivre & vendiquer, comme ses serfs, & contraindre à luy payer la taille, selon le plus, ou le peu de biens qu’ ils possedent en quelque lieu que ce soit, voire quand ils seroient denuez de tous meubles & immeubles, selon les emolumens qu’ ils peuvent tirer de la manufacture de leurs bras & mains. Et de cette servitude vous trouverez mention expresse en la coustume de Troyes chapitre premier, traitant de la condition des personnes, article troisiesme, en celle de Chaumont en Bassigny sous pareil tiltre, article troisiesme. Et sur tout en la coustume de Nivernois chapitre huictiesme, traictant des servitudes personnelles, tailles, poursuites, mainmortes, & autres droicts d’ icelles.
En ce droit de Poursuite, ces coustumes ont grande conformité avecques le droit ancien des Romains. Car il est certain que quelques depaysement que fist l’ Esclave il ne se pouvoit affranchir au prejudice de son maistre, nonobstant le laps de temps dont il se voulust prevaloir. Et de cecy l’ Histoire est tres-veritable de Barbarius Philippus, recitee par Suidas & AElian neufiesme, lequel pendant le triumvirat d’ Octave, Marc Anthoine, & Marc Lepide, s’ estant rendu fuitif de son maistre vint dedans la ville de Rome, comme s’ il eust esté franc & quite, & s’ estant insinüé aux bonnes graces de Marc Anthoine, il mania ses affaires, de sorte que par le moyen de luy il fut fait Preteur. Advient que par fortune son maistre arrive en la ville de Rome, le trouvant assis en son Tribunal, il le tire par sa robbe, luy faisant tres-expresses defenses de passer outre, comme estant son esclave. De cecy le bruit court par toute la ville, & deslors fut une grande question de sçavoir, si les sentences par luy donnees devoient sortir leur effect. Car d’ un costé pour la negative faisoit qu’ un serf n’ estoit personne capable de sententier: Au contraire pour l’ affirmative, que qui sous ce beau pretexte voudroit casser & annuller ses sentences, c’ estoit introduire un chaos & confusion par toute la ville.
Or cette Histoire representee au Jurisconsulte Ulpian, il fut d’ advis qu’ il n’ avoit rien fallu remuer de ce mesnage, pour ne troubler le repos public. Resolution dont les Docteurs tirerent cette regle generale, que error communis facit ius.
Par les choses, Messieurs, que j’ ay cy dessus deduites, je pense vous avoir descouvert l’ air general des quatre servitudes foncieres de la France. Toutesfois lors qu’ elles tomberont en dispute, il faut avoir recours aux coustumes, sous lesquelles elles sont assises toutes en general. Et combien que chaque coustume soit pour ce regard fondee en ses particulieres propositions, si est ce que je n’ en voy point de plus notables en ce sujet, que celles de Nivernois, chap. 8. & de la Marche chap. 17.
Or peuvent les gens de main-morte condition, estre manumis par leurs seigneurs, mais à la charge de faire confirmer leur manumission par lettres patentes du Roy, qui soient en apres verifiees par la Chambre des Comptes de Paris, en payant par le manumis au Roy telle finance qu’ il est advisé. Car tout ainsi que l’ Eglise acquerant maison, terre, & heritage, pour rendre son acquisition stable, il faut qu’ elle paye indemnité au seigneur immediat de la chose acquise, & en outre face amortir son acquisition par le Roy. Aussi en cette matiere de manumissions, il faut que la main du seigneur, & puis celle du Roy y passent, avant qu’ elles puissent sortir leur plein & entier effect: & obtenir lettres patentes qui dovient estre enterinees par Messieurs des Comptes.
Je trouve en la Chambre des Comptes de Paris, sous le memorial cotté K, une commission du 16. Avril 1442. par eux adressee aux Baillif de Troyes, Procureur, & Receveur du Roy, ou leurs Lieutenans, portant qu’ entre les autres droits du Roy luy appartenoient les hommes & femmes de corps, qui se disoient avoir esté manumis par leurs premiers seigneurs, fussent gens d’ Eglise tenus de faire foy & hommage, ou serment de feauté au dit sieur, ou qui cheoient en Regale, & aussi de tous autres seigneurs temporels: Et combien (porte tout d’ une suitte la commission) qu’ auparavant les guerres & divisions du Royaume, vos predecesseurs ayent de ce fait grandes diligences, dont grands profits en ont esté rendus au Roy nostre Seigneur par ses Receveurs du dit Balliage és temps passez, toutesfois depuis aucun temps en ça n’ ayez faite aucune ou tres-petite diligence, au grand dommage des droits d’ iceluy seigneur; pour cette cause vous mandons de poursuivre sans faveur tous les dits hommes & femmes de corps, que par information trouverez avoir esté ainsi manumis, comme dit est, & que les mettiez & apliquiez au domaine du dit sieur, à telles charges qu’ ils estoient auparavant, les dites manumissions, dont vous Receveur rendrez doresnavant tous les profits en l’ ordinaire de vostre dite recepte, comme les autres domaines d’ icelle &c. Je trouve plusieurs manumissions anciennes verifiees en la Chambre, mais entre toutes, je ne voy aucun formulaire plus beau que celuy qui est inseré au memorial cotté V, dont la teneur est telle.
Pierre le Blanc demeurant à sainct Amant, Diocese de Chaalons a presenté sa Requeste à la Chambre, requerant qu’ elle le voulust manumettre, & affranchir de la servitude en laquelle il estoit retourné envers le Roy, par le moyen des manumissions & affranchissemens, qui luy avoient esté faits de sa personne, par les Chanoines & Chapitre de Chaalons desquels il estoit auparavant homme de serve condition. Et apres qu’ il nous est apparu des lettres de la dite manumission, & aussi de celles de l’ Evesque de Chaalons, par lesquelles il a donné, & conferé tonsure clericale au dit Pierre: Nous consentons, aprouvons & ratifions la dicte manumission, & iceluy Pierre le Blanc manumettons & affranchissons par ces presentes de toute la servitude en quoy il pourroit estre retourné envers le Roy à cause dessus-dite, moyennant & parmy la somme de deux escus d’ or sol, qu’ il a pource payez contens au thresor du dit seigneur par descharge d’ iceluy. Donné à Paris le 27. de Juin 1500.