6. 14. Deux exemples memorables de clemence, Roy François premier, Roy Henry quatriesme

Deux exemples memorables de clemence, l’ un du Roy François premier, en la punition du fait du Connestable de Bourbon, l’ autre de nostre grand Roy Henry quatriesme en celle du Mareschal de Biron.

CHAPITRE XIV.

Je serois un grand lourdaut, de vouloir faire entrer en comparaison la qualité d’ un Mareschal de France, avecques celle du Connestable, & plus encores si je mettois en contrecarre un simple Gentil-homme ou Seigneur avecques un Prince du Sang. Et neantmoins à la suitte du Chapitre precedent, je puis dire comme chose tres vraye, que le Connestable de Bourbon, & le Mareschal de Biron, tous deux grands Capitaines, & guerriers, furent amorcez aux entreprises qu’ ils brasserent, celuy-là, par les appas du mariage de la sœur d’ un Empereur, & cestuy-cy sous l’ esperance d’ espouser la fille du Duc de Savoye à present vivant. Vray qu’ en cette communauté de rencontres, ils eurent cela de disconuenable, que je premier avoit eu auparavant quelque sujet de mescontentement, & l’ autre non, ayant tousjours esté embrassé par le Roy son Maistre d’ une singuliere affection & faveur. Tous deux furent chastiez, l’ un en son absence par defaux, & contumaces, l’ autre en personne. Les deux Roys y apporterent chacun en son endroict un formulaire de clemence, mais l’ un de l’ autre divers. Histoire qu’ il ne sera hors propos de vous representer à la suitte du precedent Chapitre. Je remets à vos arbitrages de juger lequel des deux feit acte le plus signalé en ce sujet.

Je commenceray par le Roy François, & vous diray que combien que le fait du Connestable, pour le grand rang qu’ il tenoit, tant de son ancien estoc, que par le grade qu’ il portoit, tint toute la France en une extreme crainte, toutes-fois jamais l’ opinion du Roy François ne fut d’ en rendre la punition sanglante, ains de chastier par prisons & crainte de morts, ceux qui estoient soupçonnez d’ avoir adheré à cette conspiration. Qu’ ainsi ne soit, non seulement on se saisit de tous ses principaux domestiques, mais aussi des Seigneurs, qui luy estoient plus favoris, d’ uns Seigneurs de la Vaulguion, & de Prié, tous deux Capitaines de cinquante lances: & sur tous de Messire Jean de Poitiers, Seigneur de Sainct Vallier, Chevalier de l’ Ordre du Roy, Capitaine de cent Gentils-hommes de sa Maison: Auquel le procez extraordinaire fut fait & parfait, tout ainsi que au Connestable: En fin par Arrest du seiziesme Janvier mil cinq cens vingt & trois, le Connestable fut degradé de tous ses honneurs, & ses biens acquis à la Couronne, le Roy seant en son lict de Justice. Et par autre Arrest Sainct Vallier condamné à mort, toutes-fois lors que l’ on voulut proceder à l’ execution, le Roy par ses Patentes luy convertit la peine de mort en une perpetuelle prison: Et depuis furent les prisons à pur & à plein ouvertes à tous les autres prisonniers.

Quelqu’ un me pourra dire en passant, que pour le regard du Connestable, il ne faut attribuer à clemence, s’ il ne fut condamné à mort, ains à la qualité de Prince du Sang qu’ il portoit. Toutes-fois cette reigle n’ est point observee quand un Prince du Sang se trouve avoir voulu attenter contre le Roy & son Estat. Ainsi que nous trouvons avoir esté autres-fois pratiqué sous le regne du Roy Charles VII. contre Jean de Valois Prince du Sang, Duc d’ Alençon, lequel par Arrest du dixiesme Octobre mil quatre cens cinquante huict, donné par le Parlement, & Pairs de France à Vendosme, ayant esté declaré crimineux de leze Majesté, pour avoir voulu introduire en France, l’ Anglois, fut condamné à estre decapité, & tous ses biens confisquez. Vray que le Roy Charles changea cette mort en une prison perpetuelle, & donna à la veufve, & aux enfans du condamné tous, & chacuns les biens à luy adjugez. Tellement que je veux croire que le Roy François seant en son lict de Justice au Parlement de Paris, à la conclusion de l’ Arrest, ne voulut par la debonnaireté, qu’ on touchast au sang de celuy, qui meritoit de perdre la vie. Or quant à sainct Vallier, combien que l’ arrest contre luy baillé frapast à sa mort, toutesfois je m’ asseure que sur le champ mesme les juges eurent advis du Roy, de la clemence qu’ il vouloit exercer en luy. Et de cela j’ en ay un argument qui me semble indubitable. Car combien qu’ à la suite de l’ arrest, y eust dedans le registre un retentum de la Cour, portant qu’ il seroit appliqué à la question, avant que d’ estre exposé au dernier supplice, a fin d’ indiquer les autres complices, toutesfois jamais cette question ne luy fut presentee. Ce que la Cour n’ eust obmis de faire, si elle n’ eust eu sous main le mot du Prince, qui arrestoit leur arrest.

Le recit de l’ histoire du Connestable de Bourbon, m’ a remis en memoire les procedures qui furent depuis quelques annees en ça, pratiquees par nostre feu grand Roy Henry quatriesme, au faict du Mareschal de Biron. Je vous ay dit que la premiere desconvenuë en la tragedie de Bourbon, provint pour avoir mal à propos meslé la pratique du Palais avecques les affaires d’ Estat, par une avarice mal reiglee d’ une grande Dame, & d’ un Bonnet quarré. Je vous diray maintenant que nostre Roy Henry, Prince pratic aux affaires d’ Estat, & non du Palais , apres l’ execution de l’ arrest donné contre le Mareschal de Biron, fit don au frere de luy de tous, & chacuns ses biens confisquez. Duquel don le donataire demandant la verification à la Chambre des Comtes de Paris, comme est la commune usance en telles matieres, Monsieur Nicolaï premier president, avecques quelques maistres des Comptes, & les gens du Roy, commis pour faire remonstrances à sa Majesté, luy remonstra que ce don estoit contre les anciennes reigles de la chambre, laquelle n’ avoit jamais appris de verifier telles manieres de dons faits aux heritiers de ceux qui avoient esté condamnez à mort, pour crime de leze Majesté au premier chef. A quoy faire nos ancestres avoient esté sagement induits, pour destourner tous les sujects de tels execrables attentats, a fin que leurs proches parens habiles à leur succeder, n’ esperassent trouver ressource en la liberté de nos Roys, sur les biens qui avoient esté confisquez. Remonstrances certes belles, & dignes d’ une grande compagnie, toutesfois le Roy apres nous avoir ouys: Je trouve (dit-il) vostre reigle pleine de zele, & discretion, mais quant à moy je veux qu’ on sçache, que ce n’ a esté, ny l’ or ny l’ argent, ny les biens qui m’ ont semonds à la mort du defunct, ains la vengeance publique en celuy qui avoit conspiré contre le repos general de moy, & de mon Royaume. Et pour cette cause ay-je voulu que son procez luy fust fait, & parfait, a fin de servir d’ exemple à chacun: Maintenant il me plaist de gratifier son frere du bien à moy adjugé, pour l’ exciter à bien faire, tout ainsi que par la mort du defunct il doit estre destourné du mal. Apopthegme digne d’ un grand Roy, qui eust fermé la bouche à celuy, qui donna les memoires à Madame la Regente, pour terrasser mal à propos le Prince, qui auparavant avoit tousjours bien merité du public. Car quant au reste des procedures, qui est le principal sujet du present chapitre, à la verité le Roy François par sa clemence obligea grandement tous ceux de la conjuration de Bourbon, lors que sans effusion de sang il leur fit ouvrir les prisons. Vous jugerez de quelle recommandation & merite fut celle de nostre feu Roy Henry. Parce qu’ il ne voulut qu’ on emprisonnast aucun que l’ on soupçonnoit avoir esté de la partie, fors un secretaire du sieur de Biron. Et de cette histoire je m’ en croy: D’ autant que lors que luy feismes les remonstrances de la part de la Chambre sur le don cy dessus mentionné, apres nous avoir payé d’ une monnoye Royale telle que dessus, il adjousta ces mots particulierement à deux de la compagnie dont j’ estois l’ un: On me disoit que si je permettois qu’ il fust executé à mort (parlant du Mareschal de Biron) ma cour demeureroit deserte, pour la creance qu’ il avoit à la Noblesse & la Noblesse en luy, & jamais je ne la veis si pleine qu’ elle est, chacun se presentant devant moy pour dire qu’ il n’ avoit jamais esté de la conjuration, chose que je suis tres-content de croire, encores que je sçache le contraire. Trait admirable de clemence & sagesse tout ensemble. En celuy du Roy François exerçant sa debonnaireté, il offensa aucunement ceux qui avoient esté prisonniers, si toutesfois ce mot d’ offenser peut, & doit tomber en ce grand suject dans ma plume. En celuy de nostre Roy Henry, leur pardonnant sans mot dire, il ne les voulut offencer, pour se les rendre plus obligez. Et par ce moyen assopit, & tranquilita toutes choses à petit bruict.