Des mots dorez & belles sentences de maistre Alain Chartier.
CHAPITRE XVI.
Il n’ est pas dit que je vous doive seulement servir des faits memorables qui se sont passez par la France. Les mots & sentences dorees d’ uns & autres ne sont de moindre instruction. Le suject donc de ce chapitre sera de maistre Alain Chartier, autheur non de petite marque, soit que nous considerions en luy la bonne liaison de paroles & mots exquis, soit que nous nous arrestions à la gravité des sentences: grand Poëte de son temps, & encores plus grand Orateur, comme l’ on peut voir par son Curial & Quadrilogue, lesquels deux œuvres il nous laissa pour eternelle memoire de son esprit. Et florit sous le regne de Charles septiesme, duquel il escrivit la vie, commençant son histoire à l’ annee mil quatre cens deux, qui fut l’ an de sa nativité, auquel lieu le mesme Chartier dit que lors il estoit aagé de seize ans. Au moyen dequoy nous pouvons dire qu’ il nasquit en l’ an mil trois cens quatre vingts six. Depuis il fut Secretaire du Roy, ainsi qu’ il appert par le commencement de son Quadrilogue, estant grandement favorisé de plusieurs grands seigneurs pour son bien dire. A cause dequoy mesmement on recite une chose memorable qui luy advint un jour entr’autres: car estant endormy en une salle, par laquelle Marguerite femme du Dauphin, qui depuis fut appellé le Roy Louys XI. passant avecques une grande suitte de Dames & grands Seigneurs, elle l’ alla baiser en la bouche. Chose dont s’ estans quelques uns esmerveillez, par ce que pour dire le vray, nature avoit enchassé en luy un bel esprit dans un corps laid & de mauvaise grace, cette Dame leur dist qu’ ils ne se devoient estonner de ce mystere, d’ autant qu’ elle n’ entendoit avoir baisé l’ homme qui estoit laid & mal proportionné de ses membres, ains la bouche de laquelle estoient issus tant de mots dorez: En quoy certes elle ne s’ abusoit nullement. Je vous en veux donques icy remarquer quelques uns que j’ ay recueillis de ses œuvres. Dedans son Curial il dit que toutes choses retournent de leger à leur principe, & retiennent par naturelle inclination l’ emprainte de la fin à quoy leur Createur les ordonne. Et en un autre endroict donnant advertissement aux Roys: Qui diroit (faict-il) que Seigneurie fust entreprise par la violence des plus forts sur les moindres? peu de merveille seroit voir subvertir ou muer chose fondee sur si petit & inique commencement. Et peu apres: Principauté n’ est fors commission revocable au plaisir du conseil de là sus, pour ce transporte Dieu les Royaumes d’ une main en autre: Ailleurs, A Prince sans Justice, peuple sans discipline. Et vingt ou trente fueillets apres. Si tu me demande quel est le sens des Roys, je responds, qu’ il est plus en bien croire conseil, qu’ en le donner: car bien conseiller est propre à toute personne privee, mais choisir le bon conseiller, & eslire du sens des autres conseil profitable, appartient à celuy qui doit ouyr chacun, & pour chacun exploicter. Au mesme lieu: Or est le cornard rauy en cette desve, qu’ il cuide estre fait pour enseigner le monde, & luy semble que ses responses soient Loix Imperiales, & ses fantaisies sentences d’ Evangile: Et quand il a tout fait, ses esperances sont comme feu d’ estoupe, & son sens tourné à neant, comme songe d’ homme qui a dormy: Adoncques apprend que mieux vaut chercher autruy conseil par humilité douteuse, qu’ au sien s’ arrester par arrogante outrecuidance. Parlant contre la Justice: Tres-doux Dieux, qui eust cuidé voir la justice si esbranlee, qui est le principal pilier & soustenement du commun? Or est-elle minee & ne tient plus qu’ à petites estayes toutes pourries de corruption, pour faire de la publique pauverté, privees richesses. Contre les abus des Ecclesiastics: ils sont à present tirans d’ argent, & negotiateurs de la terre. La saincte conversation du Clergé esmeut pieça les courages des Princes, & des conquereurs à leur donner, & la dissolution des Clercs enhardit maintenant chacun à leur tolir. Puis doncques, qu’ ils n’ honorent leur dignité, qui les honorera? En autre lieu, detestant les sacrileges, & ceux qui pillent le bien des Eglises. Trop ne pourrois-je detester cestuy horrible meffait, dont l’ offense est à Dieu seulement, & à luy seul reservee la vengeance: Car Religion est de si grande excellence, que mesme des Temples de Payens forcer, Dieu a souffert avenir punitions publiques, & combien que les Idolatres attribuassent divinité à choses vaines, toutesfois n’ a-il pas voulu que mespris ou force fust faite sans peine, en lieu dedié par eux en titre de Deïté, pour ce que les mescreans ne devoient sainement villenner ne mescraindre ce que par erreur ils adoroient comme Dieu tout puissant. Devisant de l’ ignorance des Princes: On nourrit les jeunes Seigneurs és delices & fetardise dés qu’ ils sont nez, c’ est à dire dés qu’ ils apprennent à parler ils sont à l’ escole de goullardise & viles paroles. Les gens les couvrent és berceaux, & les duisent à mescognoistre eux mesmes & autruy. La sottise d’ un petit homme ne nuit gueres qu’ à luy seul, & peu d’ autres se soubtilent à le decevoir: Mais Prince non sçachant, trouble l’ Estat d’ un chacun, & est la targe des mauvais, & la couverture des crimes. Doncques doit avoir sçavance de tout cognoistre, celuy qui tout a en garde. Accusant les communs vices des François. Vos conseils sont sans liberté & sans ordre, vos opinions par affection, vos conclusions sans arrest, & vos ordonnances sans exploict. Sur l’ oysiveté des jeunes gens, moult est marastre & perilleux adversaire, molle paresse, & combien qu’ elle soit à tous contraire, toutesfois est-elle formelle ennemie de jeunesse, & de l’ adolescence, à qui le temps du labour & semaille appartient pour preparer les moissons à vieillesse. Autre part discourant amplement sur la creance des Payens, & sur le motif d’ icelle. Il n’ est si dure ne tant violente introduction, que traict de temps ne tourne à semblance de nature, ne si grand erreur à qui impression de parole continuelle ne donne face de verité. Les enfans suivoient leurs peres à l’ abusion des faux Dieux, & où raison les admonestoit, la foy de leurs predecesseurs vainquoit par authorité de doctrine inviolable. Sur le franc vouloir de l’ homme, quand il mit en son vouloir l’ addressement & le choix de son pouvoir: les autres non ayans ame, ont leur pouvoir reglé en ce qu’ ils peuvent par institution de servitude, mais le pouvoir de l’ homme est reiglé en ce qu’ il veut selon droit de franche seigneurie. Sur l’ honneur que les creatures portent au souverain Seigneur: Tu les vois aux chants des oyseaux, qui jettent leurs voix & leurs cris vers les Cieux, & en leur endroict ensuivent les Planettes, & les herbes qui s’ enclinent vers le Soleil, quelque part qu’ il se tourne, & rendent par signe l’ honneur à leur Createur, duquel nature nous a donné vocale loüange. Sur les prieres & oraisons que nous addressons au Seigneur. Dieu veut, & souffre estre prié d’ homme selon l’ affection temporelle & humaine, mais il veut exaucer selon sa raison eternelle & divine. Tu ne le peux prier, ainsi que tu sens: il ne veut exaucer sinon en ce qu’ il doit: fragilité & defaut sont l’ esmouvement de ta priere: & puissance, & perfection sont la source de ses dons. Dieu donne, non pas tout ce qui te defaut, mais ce qui te vaut, non pas ce que tu demandes, mais ce que deusses demander. Parlant de l’ eternelle Essence de Dieu, pource l’ appelles-tu iré, ou courroucé à la semblance des hommes, quand tu sens ses punitions, & dis qu’ il est appaisé lors que son flael il cesse. Beaux amis ceste mutation n’ est pas en luy. Deduisant comme est venuë à perfection la cognoissance de Dieu: Et combien qu’ au premier celle gent demy brute qu’ eust sa substentation de viure ains que la cognoissance de Dieu, comme l’ estre des choses est enchainé, ils entrerent par la cognoissance des choses à eux necessaires au desir de cognoistre les parfaites. En regardant donc les choses profitables d’ embas, & contemplant les choses merveillables d’ en haut, ils cogneurent grossement que leur soustenement despendoit de plus haute puissance que celle d’ homme. Peu apres voulant taisiblement arguer les grandes possessions que tient à present l’ Eglise. Pour ce ne prindrent point les Prestres de la lignee Levy leur partie en la terre de promission, quand l’ heritage fut departy aux lignees d’ Israël, ains recevrent de l’ universel peuple les dismes & offertes, & nulle partie ne leur fut assignee sur le tout, ne sur partie d’ iceluy heritage: mais ils eurent leur tout sur les parts de chacun, entendant par ce dernier mot les dismes de leurs biens & fruicts de ceux qui ont aumosné aux Eglises. Ne je n’ entends pas pourtant blasmer les preud’hommes seculiers, qui de devotion parfaite ont donné à l’ Eglise les possessions: car ils se sont deschargez pour monter vers Dieu en esprit plus legerement & le Clergé en a pris si grand faix & si grosse charge sur ses espaules, qu’ il le courbe tout vers la terre, & le destourbe à regarder aux Cieux. Autres plusieurs notables Sentences peut-on lire dans ses œuvres, comme quand il dit. Qui se fie autrement que par la divine esperance, marche sur la glace d’ une nuictee & s’ appuye au baston de rouzeau. Si ta beauté te delecte, c’ est aujourd’huy herbe, demain foing. Telle fleur est plustost passee que venuë. La force faict un droict à part soy, & outrecuidance l’ usurpe, & s’ attribuë honneur sans desserte. Bien est deceuë la folle fiance de ceux qui cuident faire grand œuvre, quand ils offrent à l’ Eglise en vieillesse ce qu’ ils ont en leur jeune aage mal acquis. La monstre du sacrifice est és choses qui sont offertes, mais sacrifice est en la conscience. Et une infinité d’ autres belles sentences, desquelles il est confit de ligne à autre que je ne le puis mieux comparer qu’ à l’ ancien Seneque Romain.