LIVRE PREMIER. CHAPITRE I. Du tort que les anciens Gaulois…

LES RECHERCHES DE LA FRANCE

LIVRE PREMIER.

Communicant ces presentes Recherches à mes amis, comme les opinions des hommes sont diverses, il y en avoit quelques uns qui trouvoient de mauvaise grace qu’ à chaque bout de champ je confirmasse mon dire par quelque autheur ancien: Disans que la plus grand partie de ceux qui par cydevant nous avoient enseigné d’ escrire histoires alambiquerent de l’ ancienneté tout ce qu’ il leur avoit pleu, pour puis le communiquer au peuple, sans s’ amuser à telles confirmations, qui ressentoient je ne sçay quoy plus de l’ umbre des escholes, que de la lumiere de l’ histoire

Que le temps affinoit comme l’ or, les œuvres, & qu’ ores que pour le jourd’ huy on y eust moins de creance, toutesfois à l’ advenir elles pourroient s’ authoriser d’ elles mesmes, ainsi qu’ il en estoit advenu aux anciens: Les autres de contraire advis disoient que produisant icy fruicts non encores bonnement goustez par la France, c’ estoit sagement fait à moy de confirmer mon histoire par authoritez anciennes: mais estimoient chose d’ une curiosité trop grande, d’ inserer tout au long les passages, que c’ estoit enfler mon œuvre mal à propos aux despens d’ auruy: Qu’ en ce faisant il y avoit de la superstition & superfluité tout ensemble, & que le plus expedient eust esté de retrancher cest excez. Entant que touche les premiers, je recognoistray franchement que j’ ay eu plusieurs grandes raisons qui me conuioient à leur party. Car outre ce que nos ancêtres en ont usé de ceste façon, encores y a-il plus de prudence & seureté pour ceux-cy, ne s’ exposans pas tant au hazard d’ être repris que les autres: Ny plus ny moins que le sage Legislateur, ou Juge, se doit bien donner garde de rendre raison, celluy-là, de sa loy, & cettuy-cy, de sa sentence, ains laisser penser à chacun diversement à part soy, ce qui les a peu induire de donner telles loix, ou jugemens. Aussi discourant avec un stile nud & simple, l’ ancienneté, le lecteur en croiroit ce qu’ il voudroit: au contraire alleguant les passages, c’ estoit apprester matiere à un esprit de contradiction, de les induire d’ autre façon que vous ne faites, & par ce moyen vous expoter à la reformation, voire aux calomnies d’ autruy. Joinct que j’ estois aucunement excité de ce faire, parie ne sçay quelle jalousie de nos noms, qui chatouille les esprits de ceux qui mettent la main à la plume. En l’ an 1562. je mis en lumiere le premier Livre de ces miennes Recherches, & en 65. le second, dans lesquels je pense avoir esté le premier des nostres (je le diray par occasion, non par vanterie) qui ay defriché plusieurs anciennetez obscures de ceste France, tant pour la venue des nations estrangeres aux Gaules, que de l’ introduction des Parlements, Pairries, Apanages, Maires du Palais, Connestables, Chanceliers, Ducs, Comtes, Baillis & Prevosts. Et par ce qu’ és discours de toutes ces particularitez j’ apportois opinions non aucunement touchees ou recognevës par ceux qui avoient escrit nos Annales, je pensay les authoriser par les Anciens, dont l’ avois recueilly mes conjectures. En quoy les choses, graces à Dieu, me succederent si à propos, qu’ une flotte de bons esprits de la France ayans choisi pareil subject (en autre forme toutesfois) m’ ont fait cest honneur de suivre mes pas à la trace. Les aucuns recognoissans de bonne foy tenir leurs opinions de moy, les autres non, ains des Autheurs dont j’ avois tiré mon histoire: n’ ayant par ce moyen rapporté aucune recognoissance ou honneur de ces derniers, sinon que je leur ay seruy d’ inventaire. Ce que j’ ay veu mesmes en ma presence pratiquer par aucuns, qui ne me cognoissoient de face, & les autres par une impudence trop hardie me cognoissans. Car comme ainsi fust que tombans sur ces discours, quelques uns de la compagnie leur remonstrassent que c’ estoient fruicts qu’ il savoient cueillis dedans mon jardin, ils repliquerent que les livres anciens leurs estoient communs & familiers comme à moy, ne disans pas toutesfois que tous ces passages avoient esté veus par nos predecesseurs sans les voir, & que quand l’ or a esté purifié d’ une mine, il est puis apres fort facile de le mettre en œuvre. Certainement ces considerations me reduisoient presque à l’ advis de ceux qui vouloient que nuëment je proposasse mon histoire. Toutesfois escrivant icy pour ma France, & non pour moy, tout ainsi qu’ aux deux premiers Livres, aussi aux cinq autres suyvans je me suis resolu de ne rien dire qui importe, sans en faire preuve, à la charge que si ceux qui viendront apres moy voguent en mesme eau (comme il sera fort aisé de le faire la premiere glace estant rompuë) & me font cest honneur de recognoistre tenir quelque chose de moy, je la leur donne de bien bon cœur, & veux qu’ elle soit estimee leur appartenir, comme si elle estoit de leur tres-fonds. Mais si par une ingrate ambition ils l’ empruntent, voire transcrivent mot apres mot des clauses entieres de moy sans en faire estat, ainsi qu’ il est advenu à quelques uns, encores leur pardonne-je: d’ autant qu’ ils ne m’ en sçauroient tant oster, qu’ il ne m’ en reste assez pour mon contentement particulier, moyennant que j’ aye le moindre sentiment que ce present que je fais à ma France luy retourne à profit & contentement, & que ceux qui liront mes Recherches, cognoissent que j’ y aye apporté moins d’ artifice, & plus de rondeur. 

C’ est la cause pour laquelle j’ ay pensé que ce n’ estoit assez de monstrer quelle fut l’ ancienneté de nostre France, ains la faire toucher au doigt, alleguant tantost les autheurs, tantost couchant leurs passages tout au long. Et si ay encores estimé que consacrant ceste historie à nostre France, j’ eusse fait tort à mon entreprise, si je n’ eusse quelquesfois traduict les passages en nostre vulgaire : autrement celuy qui n’ eust sceu le Latin, lisant ces anciennetez eust esté un autre Tantale, au meilieu des cauës sans en pouvoir boire: & au surplus n’ ayant eu que trop de loisir, pendant trente un ou trente deux ans pour recognoistre mes premiers enfans, j’ ay voulu comme le bon Arithmeticien multiplier, adjouster, & soustraire tant au premier que second Livres, mesmes donner beaucoup plus de façon que par cy devant au Chapitre du Parlement resseant dedans Paris, & à la suitte y metre l’ establissement & progrez de la Chambre des Comptes: deux des premieres compagnies de la France, chacune en son subject, dont la vraye ancienneté n’ a jamais esté recogneuë qu’ à tatons. Aussi ayant à la derniere impression des deux premiers Livres tracé le crayon de l’ Assemblee des trois Estats de la France, j’ ay pensé de rehausser maintenant les peintures de ce tableau, & luy donner tout autre jour que l’ on n’ a faict par le passé. D’ une chose seulement supplie-je le Lecteur, qu’ il vueille recevoir ce mien labeur de mesme cœur que je luy en fais present.

Du tort que les anciens Gaulois, & ceux qui leur succederent, se feirent, pour être peu soucieux de recommander par escrits leur Vertu à la posterité. 

CHAPITRE I.

C’ A esté une honorable question ramenee quelquefois par les anciens en dispute, sçavoir s’ il estoit plus requis pour l’ utilité du public, communiquer ses conceptions & secrets par escritures au peuple, ou bien sans les communiquer, les donner à ses successeurs de bouche en bouche à entendre. A la conclusion de laquelle combien que le plus de voix ait passé pour la premiere opinion, si est ce que la derniere n’ est pas demouree sans soustien, ains a esté authorisee par plusieurs personnages de nom, entre lesquels les Lacedemoniens veirent jadis leur grand Legislateur Licurge, les Samiens le sententieux Pythagore, & les Atheniens leur sage & unique Socrate. Semonds, ce crois-je, à ce faire, afin que leurs peuples ou escoliers forclos de la communication des escrits, feissent registres de leur memoire, non de papiers: mais non considerans pourtant que favorisans aux vivans, ils apportoient grand dommage à ceux qui avoient à les suivre. Aussi n’ eussions nous maintenant aucune part aux braves ordonnances de Licurge, si quelques gens notables, plus zelateurs du bien futur, que du present, n’ eussent enfraint le premier chef de ses loix: & feussions par mesme moyen frustrez des sages discours de Socrate, sans les instructions que nous en cusmes apres par les mains de son disciple Platon: semblablement les mots dorez de Pythagore fussent évanouis en fumee, si contre son commandement l’ un de ses sectareurs Phylolae n’ eust suppleé à son defaut. Certes ceste mesme coustume (il faut qu’ avecques mon grand regret je le profere) fut fort familiere aux Gaulois. Car comme par generale police leurs estats fussent divisez & distincts par la Noblesse, Prestres de leur loy, qu’ ils appelloient Druydes, & le menu Peuple: dont le premier ordre estoit destiné au faict de la guerre, le second au maniement de la religion, justice & bonnes lettres, estant la Noblesse grandement prodigue de son sang & de sa vie pour l’ illustration de son pays, au contraire les Druydes furent si avaricieux de rediger aucune chose par escrit, que de toutes les grandes entreprises de la Noblesse Gauloise, nous n’ en avons presque cognoissance que par emprunt: 

Et encores par histoires qui nous sont prestees en monnoye de si bas aloy, qu’ il nous eust esté quelquesfois plus utile ne recevoir tels plaisirs, que de voir publier noz victoires avecques tels masques qu’ elles sont. Tellement qu’ il nous seroit mal-aisé recognoistre au vray la grandeur de nos ancêtres, sinon qu’ en ceste, ou disette, ou falsification d’ histoires, ils eurent une singuliere astuce de planter leurs noms és contrees qu’ ils avoient de nouveau conquises. Tesmoins en sont les Celtiberes, jadis faisans leur demeure dedans les Espagnes, tesmoins en la Phrigie, les Gallates ou Gallogrecs, en Italie les Gaulois, qui nous furent Ultramontains, en Angleterre les Vvalons. Afin que je coule soubs silence plusieurs victoires qu’ ils eurent à la traverse contre le superbe Romain. En quoy j’ estime leurs voyages dignes de plus grande loüange, d’ autant que de toutes les nations du North ou Ponant, ceste-cy fut, peut-être, seule laquelle faisant sa demeure en territoire plantureux, s’ achemina d’ un cœur gay à nouveaux pourchas & conquestes. Et au contraire tous les peuples qui depuis en ce grand desbord se liguerent contre les Romains, le feirent par une necessité d’ eschanger leurs terres pierreuses & sans fruict, en lieux de plus grande achoison. Lesquelles choses (bien que dignes de grande admiration) si ne les treuverons nous point trop estranges, si nous voulons considerer l’ ancienne police des Gaules, que quelques Capitaines de Rome nous donnerent à la traverse à entendre. Car de quel fonds je vous supply sortoit ceste belle ordonnance de ne donner aucune traicte à marchandises foraines en leur pays, ensemble que les enfans ne se presentassent devant la face de leurs peres ou meres, avant qu’ ils eussent atteint le quatorziesme an de leur aage, sinon pour oster toute occasion, & aux grands de s’ aneantir par curiositez estrangeres, & aux petits de s’ amignarder dedans le sein de leurs meres? Que nous enseigne ceste autre loy, par laquelle és assemblees de guerre le dernier des Chevaliers & Nobles qui s’ y trouvoit être arrivé, estoit pour exemple public de sa paresse exposé au dernier supplice, sinon l’ envie qu’ eut leur premier fondateur de loix de tenir les Gentils-hommes Gaulois sur pieds, & les asseurer d’ une fin ignominieuse, si pour leur honneur & repos ils doutoient de se hazarder à une mort honorable? Voire que posé qu’ aucuns leur tournassent à impropere les sacrifices dont ils usoient, comme peut-être trop cruels & abhorrens d’ une commune humanité, si est-ce qu’ à considerer les choses de pres, cecy ne leur partoit que d’ un cœur genereux, magnanime, & peu soucieux de la mort, au spectacle de laquelle ils s’ accoustumoient par leurs ceremonies, comme les anciens Romains en leurs theatres, quand ils prostituoient au public souz l’ espreuve d’ une espee, la vie de leurs gladiateurs, ou qu’ ils abandonnoient les pauvres delinquans à la misericorde des bestes farouches & affamees du sang humain. Je n’ adiousteray à cecy l’ opinion qu’ ils donnerent à leurs peuples, pour effacer de leurs esprits toute image de mort, lors que souz un pretexte bien inventé, ils leur donnoient à entendre que les affaires de l’ autre monde se demenoient comme celles de cestuy-cy. Lesquelles inventions, combien que, comme discordantes à nostre religion, soient damnables, si nous sont-elles toutesfois comme un modelle de leur vertu: par lequel ny plus ny moins que le bon veneur recognoist aux voyes de quelle grandeur est le Cerf sans le voir, aussi pouvons nous aisement apprendre que tous leurs desseins & pensees ne visoient qu’ à un but de guerre. Et neantmoins quel Gaulois eusmes nous oncques, qui s’ ingerast de transmettre à la posterité aucune chose de noz vaillances? Tant estoit en nous imprimee l’ affection de bien faire, & de rien escrire. Or si ceste mal-heureuse opinion (ennemie de l’ immortalité de noz noms) a esté cause que l’ honneur de noz bons vieux peres est demouré enseuely dedans le tombeau d’ oubliance, vrayement encores faut-ilqu’ avecques eux je deplore la fortune de ceux qui leur succederent. Car estant nostre Gaule tombee és mains de ces braves François, qui par succession de tems se naturaliserent en ce pays, comme legitimes Gaulois, il seroit impossible de conter les hautes chevaleries qu’ ils meirent à fin. Ce neantmoins tout ainsi que premierement les Druydes, aussi de mesme exemple, les Moynes prenans pour quelque tems entre nous la charge des sciences (selon la portee des faisons) bien que non si jaloux du bien de la posterité que les autres: reduisirent veritablement les faicts & gestes de noz Roys par memoires, mais avec telle sobrieté, que vous trouverez leurs grandes & excessives histoires se rapporter plus à leurs Religions & monasteres, qu’ à la deduction du subject qu’ ils promettent au front de leurs livres: & outre plus, si maigrement, qu’ il semble qu’ ils n’ ayent voulu toucher qu’ à l’ escorce. Car qui ost celuy d’ eux tous (j’ en mets hors de ligne un, & encores peut-être un autre, mais c’ est trop) entre une infinité qu’ ils sont, qui ait jamais entrepris de nous armer un Roy de haut appareil, c’ est à dire qui se soit amusé à nous desduire de fonds en comble les deliberations & conseils, raconter avec paroles de choix la poursuitte, & comme si nous y eussions esté en personnes, representer devant les yeux l’ issuë de ses entreprises? 

Et comme toute histoire bien digeree consiste principalement en 2. poincts, dont l’ un regarde la guerre, & l’ autre l’ ordre d’ une paix: qui est celuy (je n’ en excepteray aucun) qui apres avoir quelque peu sauté sur les guerres, nous ait jamais discouru le faict de nostre police, afin ce pendant que, comme trop partial, je ne remarque en la plus part d’ eux, un fil de langage mal tissu, une liaison mal cousuë, un certain defaut d’ entregent, & à peu dire, un tout qui ressent son remeugle. 

De maniere qu’ il semble qu’ il seroit requis qu’ un bon Prince, tout ainsi qu’ il entretient à sa soulde Capitaines & gens d’ eslite pour la protection de soy & de son pays, aussi afin que ses faicts ne tombassent en l’ ingratitude des ans, eust à ses gages Historiographes aguerris, & aux armes & aux bonnes lettres: mais moyennant qu’ il se peut faire que ceux qui toucheroient tels gages d’ une main, n’ engageassent par cette obligation l’ autre main plustost à desguiser par flatterie ses faicts, qu’ à descouvrir ses veritez. Car je ne sçay comment ces salaires subornent le plus du temps noz esprits, ou transportent noz affections. Mais que peut-il chaloir au bon Prince (car ainsi l’ ay-je souhaitté) que l’ on cognoisse ses veritez? veu qu’ il se doit asseurer que tout ainsi que nature l’ a constitué au plus haut degré de préeminence que tous les autres, aussi l’ a-elle estably comme dessus un theatre, pour servir d’ exemple à ses subjects. Lesquels par naturel instinct ont la veuë tellement fichee en luy, que comme s’ ils eussent yeux perçans à jour les parois, entendent mesmes le plus du tems les plus petites particularitez de leur Prince, & celles qu’ il pense tenir plus cachees. Et certes ny plus ny moins que le bon Prince deust souhaitter avoir gens gagez pour l’ embelissement de ses faicts: au rebours celuy que nature a procreé, pour n’ être qu’ un espouventail à son peuple, s’ il se remiroit quelquesfois, deust grandement redouter de se veoir peinct de toutes pieces, & donner argent pour se taire, à ceux qui ont l’ esprit & la plume à commandement. Si ne sont à present les Princes (graces à Dieu) en ceste peine, un chacun choisissiant plustost autre party, que l’ histoire.

Et de ma part cognoissant le danger qui escherroit, ou de la reputation & honneur, ou de la personne à celuy qui voudroit entreprendre d’ escrire une histoire moderne, de l’ honneur à moins, de la personne à tout mettre (car estant l’ histoire sans moyen, il n’ y a pas moins de reproche à taire une verité, qu’ à falsifier un mensonge) j’ ay voulu prendre pour mon partage les anciennetez de la France. Chose encor que par quelques uns de fois à autres touchee, non toutesfois tout au long couchee par escrit, ny de tel fil que je me delibere. Et pour autant que je voy qu’ en ce subject il y a double recherche, ou des choses, ou des paroles, & que pour le regard des choses l’ on doit premierement jetter l’ œil sur les vieux Gaulois, puis sur les François, avant qu’ ils fussent Chrestiennez, & finalement apres qu’ ils furent reconciliez à Dieu par le sainct sacrement de Baptesme, qui a esté dés & depuis le temps de Clouis jusques à nous: j’ ay voué mon Premier Livre en passant, pour quelques discours des Gaulois & aussi de l’ habitation des premiers François, ensemble de quelques autres peuples qui nous touchent, que nous ne recognoissons (pour dire la verité) qu’ à demy: mon Second, à la deduction de la commune police, qui a esté diversement observee selon les temps és choses seculieres: le Tiers, pour la discipline Ecclesiastique & libertez de nostre Eglise Gallicane: le Quatriesme à quelques anciennetez, qui ne concernent tant l’ Estat du public, que des personnes prives: le Cinquiesme, en la commemoration de quelques notables exemples, que je voy ou n’ être deduits par le commun de nos Croniqueurs, ou passez si legerement qu’ ils sont à plusieurs incognus: Et pour le regard du Sixiesme, je me suis referué ce qui appartient à nostre poësie Françoise: Et le septiesme, à l’ ancienneté de nostre langue, ensemble de quelques proverbes antiques, qui ont eu vogue jusques à nous: estendant quelques fois mes propos, mesmes à l’ origine & usage de quelques paroles de marque. En quoy si je ne satisfais à tous, si me fay-je fort pour le moins, avec le peu de jugement que j’ y ay adjousté du mien, avoir mes Autheurs pour garends: & Autheurs qui ont esté assez prochains des saisons, sur lesquelles je pretends les alleguer. Ce neantmoins tout ainsi qu’ és grandes entreprises on a ordinairement de coustume d’ envoyer quelques avant-coureurs pour descouvrir le pays: aussi estant ce mien dessein d’ assez grande importance, je me suis advisé de hazarder ce premier Livre devant, pour recognoistre les François, Bourguignons, Gots & autres peuples, qui se logerent en ce pays. Car encor’que les autres Livres soient grandement advancez, si ne suis-je pas tant assotté de mes œuvres, que par une precipitation trop legere je les vueille rendre avortons, ains me propose, & en cestuy, & aux autres, comme un bon pere de famille, les menager selon que le temps me donnera de jour à autre plus grand loisir & conseil. Hazardant ce temps-pendant cestuy-cy, à la charge que, si la fortune ne luy est d’ entree favorable, le tenir pour enfant perdu, sans en mener pourtant grand dueil, tant pour me contenter d’ avoir bien voulu à ma France, que pour être aussi trop certain, qu’ avec le naïf que quelques uns ont desiré aux œuvres que nous escrivons, il y a (comme en toutes autres choses) heur ou mal-heur: estant le hazard du temps, comme l’ aueugle és blanques, distributeur des benefices que reçoivent les Livres, & non le plus souvent leur valeur.

Chapitre II