Chapitre II.
Substantifs.
Les noms doivent être considérés sous les rapports du genre, du nombre, et du cas.
La langue romane admet seulement les genres masculin et féminin, que l’ article, la terminaison, font ordinairement reconnaître.
Elle admet deux nombres: le singulier et le pluriel; ils sont de même indiqués ordinairement par l’ article, par la terminaison.
Le CAS fut ainsi nommé à cause du signe final distinguant les sujets et les régimes dans les langues qui terminent leurs noms par une variété de désinences ou chûtes, CASUS. Quelques grammairiens ont prétendu que, dans les langues modernes qui n’ attachent point à leurs noms cette variété de désinences caractéristiques soit des sujets soit des régimes, il n’ existait point de cas.
Quoique je préfère d’ employer les expressions de Sujet et de Régime Direct ou Indirect, je me conforme quelquefois à l’ usage, en me servant du mot de CAS, pour rendre mes idées plus sensibles, sur-tout quand j’ établis des rapports avec les CAS des langues qui ont des désinences caractéristiques.
Presque tous les substantifs romans ayant été formés par la suppression de ces désinences qui marquaient les cas des substantifs latins, il serait aussi long que fastidieux de présenter ici le tableau de toutes les terminaisons des différents substantifs romans, soit masculins, soit féminins. Ces détails minutieux et compliqués appartiennent au Dictionnaire de la langue (Raynouard, Lexique Roman): il contiendra la classification des désinences très nombreuses et très variées qui indiquent les noms substantifs ou adjectifs; ces noms sont faciles à reconnaître soit à l’ article ou aux prépositions qui les précèdent, soit au signe qui, dans la langue romane, distingue les sujets des régimes.
On a vu précédemment de quelle manière se faisait cette distinction caractéristique; de nouvelles observations et de nouveaux exemples confirmeront la règle, et offriront quelques détails nécessaires.
Au singulier, l’ S final attaché à tous les substantifs masculins et à la plupart des substantifs féminins qui ne se terminent point en A, désigne qu’ ils sont employés comme sujets, c’est-à-dire qu’ ils remplissent la fonction du nominatif ou du vocatif; et l’ absence de l’ S désigne le régime direct ou indirect, c’est-à-dire que ces noms remplissent une fonction de génitif, de datif, d’ accusatif, ou d’ ablatif.
Au pluriel, les nominatifs et les vocatifs de ces noms, c’est-à-dire les sujets, ne reçoivent pas l’ S; mais il s’ attache aux génitifs, datifs, accusatifs, et ablatifs, c’est-à-dire aux régimes directs ou indirects.
Les régimes indirects sont facilement distingués, soit au singulier, soit au pluriel, par les prépositions DE et A, ou autres, qui précèdent les génitifs, datifs et ablatifs; et les régimes directs, par l’ absence de ces prépositions, lesquelles ne sont jamais placées entre des verbes et un nom qui devient leur régime direct.
Les noms féminins en A, sujets ou régimes, ne reçoivent, dans aucun cas du singulier, l’ S final, qu’ ils gardent à tous les cas du pluriel.
Les substantifs qui originairement se terminent en S, le conservent dans tous les cas, soit au singulier, soit au pluriel.
Pour offrir des exemples de l’ emploi de l’ S, désignant au singulier les noms masculins comme Sujets, je choisis un couplet entier:
Valer m degra MOS PRETZ e MOS PARATGES
E ma BEUTATZ e plus MOS FINS CORATGES;
Per qu’ ieu vos man, lai on es vostre ESTATGES,
Esta chanson, que me sia MESSATGES,
E voill saber, lo MIEUS BELS AMICS GENS,
Per que m’ etz vos tan FERS e tan SALVATGES;
No sai si s’ es ORGUELHS O MALS TALENS. (1)
Comtesse de Die: A chantar.
(1) Valoir me devrait mon prix et mon parage
Et ma beauté et plus mon tendre attachement;
C’est pourquoi je vous mande, là où est votre demeure,
Cette chanson, qui me soit message,
Et je veux savoir, ô le mien bel ami gent,
Pourquoi m’ êtes vous tant cruel et tant sauvage;
Ne sais si c’est orgueil ou mauvaise volonté.
Je donne de même un couplet entier pour les exemples de l’ absence de l’ S, désignant au singulier les noms masculins comme régimes directs ou indirects:
Seinher Conrat, tot per vostr’ AMOR chan,
Ni ges no i gart AMI ni ENNEMI;
Mas per so ‘l fatz qu’ ill crozat vauc reptan
Del PASSATGE qu’ an si mes en OBLI:
Non cuidon qu’ a DEU enoia
Qu’ ill se paisson e se van sojornan;
E vos enduratz FAM, SET, et ill stan. (1)
Bertrand de Born: Ara sai.
(1) Seigneur Conrad, tout pour votre amour je chante,
Et aucunement n’ y regarde ami ou ennemi;
Mais pour ce le fais que les croisés vais accusant
Du passage qu’ ils ont ainsi mis en oubli:
Ils ne pensent pas qu’ à Dieu il déplaise
Qu’ ils se repaissent et se vont séjournant;
Et vous endurez faim, soif, et eux restent.
L’ observation de cette règle et son utilité sont frappantes dans les phrases où le même nom est successivement employé et comme Sujet et comme Régime:
Qe mais mi notz A DEU SIAZ
Que DEUS VOS SAL no m’ ajuda. (2)
Cadenet: Amors e cum er.
(2: Parce que plus me nuit A DIEU SOYEZ
Que DIEU VOUS SAUVE ne m’ aide.
Pour l’ intelligence de ces locutions, je dois avertir que la première correspond à ADIEU, et signifie donc l’ instant de la séparation; et que la seconde correspond à BON JOUR, et signifie celui de l’ arrivée.)
Parmi les citations que je pourrais faire de la prose romane, je préfère ce passage qui commence l’ ouvrage intitulé: Leys d’ Amors:
“Segon que dis lo PHILOSOPHS, tut li home del mon desiron aver sciensa, de la qual nais SABERS, de SABER conoyssensa, de connoyssensa SENS, de SEN be far, de be far VALORS, de VALOR LAUZORS, de LAUZOR HONORS, d’ HONOR pretz, de pretz PLAZERS, et de PLASER gaug e ALEGRIERS.” (1)
(1) “Selon que dit le philosophe, tous les hommes du monde desirent avoir science, de laquelle naît savoir, de savoir connaissance, de connaissance sens, de sens bien faire, de bien faire valeur, de valeur louange, de louange honneur, d’ honneur prix, de prix plaisir, et de plaisir joie et allégresse.”
Il me reste à donner, pour le pluriel, des exemples de l’ absence de l’ S désignant les sujets, et de la présence de l’ S désignant les régimes:
Plur. Sujet. De fin’ amor son tuit MEI PENSAMEN
E MEI DESIR e MEI MEILLOR JORNAL. (2)
P. Raimond de Toulouse: De fin’ amor.
E MIEI TALAN e MIEI DESIR. (3)
Elias de Barjols: Pus la bella.
Plur. Régime. En abril, quan vei verdeiar
LOS PRATZ VERTZ, e ‘ls VERDIERS florir. (4)
Bernard de Ventadour: En abril.
Lo temps vai, e ven, e vire
Per JORNS e per MES e per ANS. (5)
Bernard de Ventadour: Lo temps.
Plur. Régime. Car qui be vol baissar e frevolir
SOS ENNEMICS, BOS AMICS deu chausir. (1)
Bernard Arnaud de Montcuc: Anc mais.
Pro ai del chan ESSENHADORS
Entorn mi et ENSENHAIRITZ,
PRATZ e VERGIERS, ARBRES e flors
Voutas d’ AUZELНS e LAIS e CRITZ. (2)
Geoffroi Rudel: Pro ai del chan.
Voici des exemples des substantifs féminins en A au singulier, et en AS au pluriel.
Sing. Sujet. Que fara la vostr’ AMIA?
Amicx, cum la voletz laissar! (3)
Bernard de Ventadour: En abril.
GUERRA m platz, sitot GUERRA m fan
Amors e ma DOMNA tot l’ an. (4)
Bertrand de Born: Guerra.
Sing. Régime. Farai CHANSONETA NUEVA. (5)
Comte de Poitiers: Farai.
Lanquan vei la FUELHA
Jos dels arbres cazer. (6)
Bernard de Ventadour: Lanquan vei.
(1) Car qui bien veut abaisser et affaiblir
Ses ennemis, bons amics doit choisir.
(2) Assez j’ ai du chant instituteurs
Autour de moi et institutrices,
Prés et vergers, arbres et fleurs,
Cadences d’ oiseaux et lais et ramages.
(3) Que fera la votre amie?
Ami, comment la voulez-vous laisser!
(4) Guerre me plait, quoique guerre me font
Amour et ma dame toute l’ année.
(5) Je ferai chansonette nouvelle.
(6) Quand je vois la feuille
En bas des arbres tomber.
Sing. Régime. Mielz no fa ‘l venz de la RAMA,
Q’ en aissi vau leis seguen,
Bernard de Ventadour: Amors enquera.
Plur. Sujet.
Las DONAS eyssamens
An pretz diversamens…
Las AUTRAS conoissens. (2)
Plur. Régime.
E vey las AIGUAS esclarzir. (3)
Bernard de Ventadour: En abril.
Anc Persavals, quant en la cort d’ Artus
Tolc las ARMAS al cavalier vermelh,
Non ac tal joy. (4)
Rambaud de Vaqueiras: Era m requier.
Jamais en lor no m fiarai. (5)
Bernard de Ventadour: Quan vei la laudeta.
(1) Mieux ne fait le vent de la ramée,
Vu qu’ ainsi je vais elle en suivant,
Comme la feuille suit le vent.
(2) Les dames également
Ont prix diversement…
Les unes sont agréables,
Les autres savantes.
(3) Et je vois les eaux éclaircir.
(4) Oncques Perseval, quant en la cour d’ Artus
Il enleva les armes au chevalier vermeil, (: rouge)
N’ eut telle joie.
(5) Des dames me désespère:
Jamais en elles ne me fierai.
J’ ai dit que les substantifs terminés en S le gardaient à tous les cas du singulier et du pluriel, soit qu’ ils fussent employés comme Sujets, soit qu’ ils le fussent comme Régimes; je choisis pour exemples les noms TEMPS, temps; VERS, vers; OPS, besoin, avantage.
Sujets.
Lo gens TEMPS m’ abellis e m platz. (1)
Arnaud de Marueil: Lo gens temps.
Qu’ entr’ els lurs gabs passa segurs mos VERS. (2)
Arnaud de Marueil: L’ ensenhamentz.
Ab fina joia comensa
LO VERS qui be ‘ls motz assona. (3)
Pierre d’ Auvergne: Ab fina.
Car mot l’ es OPS sacha sofrir
Que vol a gran honor venir. (4)
Arnaud de Marueil: Totas bonas.
Régimes.
Totz TEMPS vos amaria,
Si totz TEMPS vivia. (5)
Arnaud de Marueil: Sabers.
Per joi qu’ ai dels e d’ el TEMPS. (6)
Arnaud Daniel: Autet e bas.
(N. E. “Tan m’ abellis vostre cortes deman,
qu’ ieu no me puesc ni voill a vos cobrire.
Ieu sui Arnaut, que plor e vau cantan;
consiros vei la passada folor,
e vei jausen lo joi qu’ esper, denan.
Ara vos prec, per aquella valor
que vos guida al som de l’ escalina,
sovenha vos a temps de ma dolor!”.
Divina Commedia, Dante Alighieri.)
Estat ai dos ans
Qu’ ieu no fi VERS ni chanso. (7)
Bernard de Ventadour: Estat ai.
Dirai un VERS que m’ ai pensat. (8)
Rambaud d’ Orange: Als durs.
(1) Le gentil temps me charme et me plait.
(2) Qu’ entre leurs plaisanteries passe assuré mon vers.
(3) Avec pure joie commence
Le vers qui bien les mots accorde.
(4) Car beaucoup lui est besoin que sache souffrir
Qui veut à grand honneur venir.
(5) En tous temps je vous aimerais
Si en tous temps je vivais.
(6) Par joie que j’ ai d’ eux et du temps.
(7) Été j’ ai deux ans
Que je ne fis vers ni chanson.
(8) Je dirai un vers que j’ ai pensé.
Régime.
E chanta SOS VERS raucament. (1)
Le Moine de Montaudon: Pus Peire.
Ben vuelh que sapchon li plusor
D’ est VERS, si ‘s de bona color. (2)
Comte de Poitiers: Farai un vers.
Lai on m’ agra ops que fos saubuz mos vers. (3)
Folquet de Marseille: Chantan volgra.
Qu’ a vos soi fis e a mos ops trayre. (4)
Folquet de Marseille: Tan m’ abellis.
Concurremment avec la règle qui désigne par l’ S final le sujet au singulier, la langue romane usa d’ une forme spéciale pour quelques substantifs masculins, dont le nominatif au singulier se termina différemment des autres cas du singulier et de tous ceux du pluriel.
Ces substantifs reçurent la finale AIRE, EIRE, IRE, comme sujets au singulier, et la finale ADOR, EDOR, IDOR, comme régimes directs ou indirects au singulier, et comme sujets ou régimes au pluriel.
AIRE: sujet.
“Pistoleta si fo CANTAIRE d’ En Arnaud de Marueil, e fo de Proensa, e pois venc TROВAIRE, e fez cansos.” (5)
Vie manuscritte de Pistoleta. Ms. royale 7225, fol. 137.
C’ anc no fui fals ni TRICHAIRE. (6)
Bernard de Ventadour: Lo rossignols.
(1) Et chante ses vers rauquement.
(2) Bien veux que sachent la plupart
De ce vers, s’ il est de bonne couleur.
(3) Là où j’ aurais besoin que fût su mon vers.
(4) Qu’ à vous je suis fidèle et à mes avantages traître.
(5) “Pistoleta ainsi fut chanteur d’ Arnaud de Marueil, et fut de Provence,
et puis devint troubadour, et fit des chansons.”
(6) Que jamais je ne fus faux ni tricheur.
AIRE: sujet.
Qu’ ieu chant gais e joios,
Pois cil cui sui Amaire,
Vol mi e mas chansos. (1)
Gaucelm Faidit: L’ onrat jauzens.
ADOR: régime.
Mas per vos cui ador,
Domna, m sui alegratz. (2)
Pierre Raimond de Toulouse: S’ ieu fos.
Cantarai d’ aquest Trobadors
Qui chantan de mantas colors. (3)
Pierre d’ Auvergne: Cantarai.
Amic ai de gran valor
Que sobre totz seingnoreia
E non a cor Trichador. (4)
Azalais de Porcairague: Ar em al freg.
Vos am e no m recre
Tan vos ai cor de lial Amador! (5)
Gaucelm Faidit: Razon.
(1) Que je chante gai et joyeux,
Puisque celle dont je suis l’ amant,
Qui est la plus gentille qui onc fut,
Veut moi et mes chansons.
Ne m’ ont fait chanteur;
Mais par vous que j’ adore,
Dame, je suis inspiré.
(3) Je chanterai de ces troubadours
Qui chantent de maintes couleurs.
(4) Ami j’ ai de grande valeur
Qui sur tous domine
Et n’ a pas coeur tricheur.
(5) Je vous aime et ne me lasse
Par mal ni par douleur;
Tant pour vous j’ ai coeur de loyal amant.
EIRE: sujet.
E s’ anc fuy gays Entendeire ni drutz. (1).
Rambaud de Vaqueiras: D’ amor no m lau.
EDOR: Rég.
D’ una dona qu’ a dos Entendedors. (2)
Rambaud de Vaqueiras: Seigner.
IRE: sujet.
E ill serai hom et amicx e Servire. (3)
Bernard de Ventadour: Ben m’ an.
Doncs, belha, membransa
N’ aiatz qu’ ieu no us sui Mentire. (4)
Gaucelm Faidit: Coras que m.
IDOR Rég.
Bona dompna, plus no us deman
Mais que m prendaz a Servidor. (5)
Bernard de Ventadour: Non es meraveilla.
Que me tegna per Mentidor. (6) (N. E. tegna : tenga)
Gaucelm Faidit: d’ un dolz bel.
(1) Et si oncques je fus gai poursuivant et galant.
(2) D’ une dame qui a deux poursuivants.
(3) El lui serai homme-lige, et ami et serviteur.
(4) Donc, belle, souvenir
En ayez que je vous suis menteur.
(5) Bonne dame, plus ne vous demande
Si non que me preniez à serviteur.
(6) Car du retour j’ ai peur
Qu’ elle me tienne pour menteur.
Quand j’ indique les principales règles qui, dans la langue romane, servent à distinguer les sujets et les régimes, je ne dois pas omettre que cette langue possède plusieurs substantifs qui, par leur double terminaison masculine et féminine, pouvaient être employés tour-à-tour dans le genre qui convenait aux auteurs.
Ces mots sont en grand nombre; le dictionnaire roman les indiquera; je me borne à donner les exemples de FUELH et FUELHA, de JOY et JOYA.
LO FUELHS e ‘l flors e ‘l frugz madurs. (1)
Pierre d’ Auvergne: Lo fuelhs.
Quan la vert FUELHA s’ espan
E par flors blanqu’ el ramel. (2)
Bernard de Ventadour: Quan la vert.
Tos temps sec JOI ir’ e dolors,
E tos temps ira JOIS e bes. (3)
Bernard de Ventadour: Ja mos chantars.
Geoffroi Rudel: Quan lo.
Le substantif DONS est employé dans le même sens que le substantif DOMNA, mais alors le pronom possessif qui y est joint est MI, TI, SI:
Sujet:
E MI DONS ri m tan doussamens. (5)
Rambaud d’ Orange: Ab nov joi. (nov : nou; bov : bou; etc.)
Régime.
Amicx, quan se vol partir
De SI DONS, fai gran enfansa. (6)
Gaucelm Faidit: Sitot ai.
Dieus ni merces ni’ l dreich qu’ ieu ai. (7)
Bernard de Ventadour: Quan vei la laudeta.
(1) La feuille et la fleur et le fruit mûr.
(2) Quand la verte feuille s’ épaud.
(3) En tous temps suivent joye la tristesse et la douleur,
Et en tous temps tristesse la joye et le bien.
(4) Je ne sais joye plus précieuse.
(5) Et ma dame rit à moi si doucement.
(6) Un ami, quand il veut se séparer
De sa dame, fait grand enfantillage.
(7) Puisqu’à ma dame ne peut valoir
Dieu ni merci ni le droit que j’ ai.
Enfin la langue romane employa quelquefois un signe particulier pour précéder et faire reconnaître les noms propres des personnes qualifiées.
EN désigna les noms propres masculins.
NA désigna les noms propres féminins. (1)
E d’ EN Bernart. (2)
Comte de Poitiers: En Alvernhe.
E fa tota la linhada
Que pres d’ EN Adam naissensa. (3)
Gavaudan le Vieux: Un vers.
NA Beatrix, Dieus qu’ es ples de merce
Vos accompanh’ ab sa mair’ et ab se. (4)
Aimeri de Peguillan: De tot en tot.
NA subissait quelquefois l’ élision devant les noms qui commençaient par des voyelles:
So dis N’ Agnes, e N’ Ermessen:
Trobat avem qu’ anam queren. (5)
Comte de Poitiers: En Alvernhe.
(1) On conçoit que NA a pu venir de domna, par la suppression de DOM, mais il est plus difficile d’ expliquer d’ où dérive EN (Mossen : Mon seigneur etc). M. de Marca a proposé ses conjectures à ce sujet dans le Marca Hispanica, liv. 3, c. 9.
(2) Je trouvai la femme de Guarin
Et de Bernard.
(3) Et fait toute la lignée
Qui prit d’ Adam naissance.
(4) Dame Béatrix, Dieu qui est plein de merci
Vous place avec sa mère et avec soi.
(5) Ce dit dame Agnès, et dame Ermessen:
Trouvé avons ce que nous allons cherchant.
EN et NA furent placés même devant les sobriquets ou les noms fictifs qui étaient donnés à ces personnes qualifiées.
Ainsi Bertrand de Born, qui donne au roi Richard le sobriquet d’ OC E NO, OUI ET NON, dit de lui:
Que no fai negus dels Alguais. (1)
Bertrand de Born: Al dous nov.
(N. E. El 14 de junio de 1461 – los diputats del General e consell representants lo Principat de Cathalunya. – resposta de hoc o de no)
Bernard de Ventadour, donnant à la dame qu’ il chantait le nom de FIN’ AMORS, PUR AMOUR, s’ exprime ainsi:
NA FIN’ AMORS, fons de bontatz,
Merce ti clam, lai no m’ acus. (2)
Bernard de Ventadour: Pus mos coratges.
Et Arnaud de Marueil appelant sa dame SES MERCE, SANS MERCI:
NA SES MERCE, trop s’ afortis
Vostre durs cors encontra mey. (3)
Arnaud de Marueil: Cui que fin’ amors.
(1) Seigneur oui et non veut la guerre plus
Que ne fait aucun des Alguais.
(*: noms de fameux brigands qui étaient quatre frères.)
(2) Dame pur amour, fontaine de bontés,
Merci je te demande, las! ne m’ accuse.
(3) Dame sans merci, trop se renforce
Votre dur coeur contre moi.
Verbes employés substantivement.
A l’ exemple de la langue grecque et de la langue latine, les présents des infinitifs furent souvent employés substantivement.
Comme sujets, ils prirent ordinairement l’ S final, mais ils ne le prirent pas toujours.
Comme régimes, ils rejetèrent l’ S final.
Les régimes indirects furent précédés des prépositions qui les désignent.
Quelquefois l’ article fut joint à ces verbes, soit sujets, soit régimes; quelquefois ils furent employés sans articles, ainsi qu’on le pratiquait à l’ égard des substantifs mêmes. Voici des exemples de l’ infinitif des verbes romans employés substantivement.
Sujets sans articles.
CHANTARS me torna ad afan,
Quan mi soven d’ En Barral. (1)
Folquet de Marseille: Chantars.
El dieus d’ amor m’ a nafrat de tal lansa
Que no m ten pro SOJORNARS ni JAZERS. (2)
Folquet de Marseille: Chantan.
Que VIURES m’ es marrimens et esglais,
Pus morta es ma dona n’ Azalais. (3)
Pons de Capdueil: De totz caitius.
Sujets avec articles.
Pus LO PARTIRS m’ es aitan grieus
Del seignoratge de Peytieus. (4)
Comte de Poitiers: Pus de chantar.
(1) Chanter me tourne à chagrin,
Quand il me souvient de Barral.
(2) Le dieu d’ amour m’ a blessé de telle lance
Que ne me tient profit le reposer ni le coucher.
(3) Que vivre m’ est chagrin et effroi,
Depuis que morte est ma dame Azalais.
(4) Puisque le séparer m’ est si pénible
De la seigneurie de Poitou.
Sujets avec article.
Val lo bon cor e ‘L GEN PARLARS
E’ l merces e l’ HUMILIARS
Mais que riquezas ni poders. (1)
Arnaud de Marueil: Si que vos.
Granz affars es LO CONQUERERS,
Mais LO GARDAR es maestria. (2)
Gaucelm Faidit: Chascun deu.
Lanquan la vei, me te ‘L VEZERS jauzen. (3)
Pons de Capdueil: Aissi m’ es pres.
Sujets au pluriel.
Ben sai qu’ a sels seria fer
Que m blasmon quar tan soven chan,
Si lur costavon MEI CHANTAR. (4)
Rambaud d’ Orange: Ben sai.
Soffrissetz qu’ a vostr’ onransa
Fosson mais TUICH MEI CHANTAR. (5)
Gaucelm Faidit: Al semblan.
Rég. Direct.
En mon cor ai UN NOVELET CANTAR
PLANET e LEU e qu’ el fai bon auzir
A totz aisselhs qu’ en joy volon estar. (6)
Arnaud de Marueil: En mon cor.
(1) Vaut le bon coeur et le gentil parler
Et la merci et le condescendre
Plus que richesse ni pouvoir.
(2) Grande affaire est le conquérir,
Mais le garder est science.
(3) Quand je la vois, me tient le voir jouissant.
(4) Bien je sais qu’ à ceux serait dur
Qui me blâment parce que si souvent je chante,
Si leur coûtaient mes chanters.
(5) Souffrissiez qu’ à votre honneur
Fussent désormais tous mes chanters.
(6) En mon coeur j’ ai un nouveau chanter
Simple et léger et qu’ il fait bon ouir
A tous ceux qui en joie veulent être.
Rég. ind. sans article.
AB CELAR et AB SOFFRIR
Li serai hom e servire. (1)
P. Raimond de Toulouse: Altressi.
E tal es EN GRAN POIAR (N. E. chap. pujá, puchá; pujar)
Fai SON POIAR e DESCENDRE. (2)
Giraud de Borneil: Honratz es hom.
Rég. Ind. avec article.
Messatgier, vai, e no m’ en prezes meinhs,
S’ ieu DE L’ ANAR vas mi dons sui temens. (3)
Bernard de Ventadour: Quant erba.
Ma dompna m fo, AL COMENSAR,
Francha e de bella conpaigna. (4)
Bernard de Ventadour: Estat ai.
Aux verbes employés substantivement s’ attachent, comme aux véritables substantifs, les pronoms possessifs, démonstratifs, etc., et tous les différents adjectifs; en un mot, ces verbes remplissent entièrement les fonctions des substantifs ordinaires.
La langue romane emploie aussi substantivement les adjectifs, quand elle s’ en sert d’ une manière impersonnelle; j’ en donnerai des exemples dans le chapitre suivant.
(1) Avec celer et avec souffrir
Je lui serai homme-lige et serviteur.
(2) Et tel est en grand monter
A qui la roue en brief tourner
Fait son monter et descendre.
(3) Messager, va, et ne m’ en prise moins,
Si moi de l’ aller vers ma dame suis craintif.
(4) Ma dame me fut, au commencer,
Franche et de belle société.