Chapitre V. Quels furent les defaux des Gaulois …

Quels
furent les defaux des Gaulois, au moyen desquels les Romains s’
emparerent principalement des Gaules.


CHAPITRE V.

Ceux, qui discovrent sur le fait de l’ art militaire, tombent tous de cest advis, qu’ il se faut soigneusement donner garde de prendre tel aide de vostre voisin, que pendant que vous pensez combattre vostre ennemy, par son moyen, finalement ayant cheuy de l’ ennemy, ceste aide ne retourne à vostre dommage. Parquoy sont les plus sages capitaines d’ opinion que jamais nous ne prenions confort des armes auxiliaires, que les nostres ne soient tousjours les plus fortes, pour tenir par ce moyen l’ estranger en bride, duquel il faut craindre la queuë. Mais quant à moy, pour eviter tout esclandre, je pense que le meilleur seroit aguerrir de telle façon les siens, que jamais l’ on ne se trouvast avoir affaire de l’ estranger. Car encores que vous secourant il soit pour un temps le plus foible, si est-ce que pendant ce voyage, il espie les chemins de vostre pays, recognoist les forteresses ou places de petite tenuë, discourt à l’ œil les endroicts par où elles sont plus prenables, gouste la fertilité de vostre païs, & la nature de vos sujects sans danger, qui luy donne puis apres sur accez d’ envahir en vostre desarroy vostre Royaume, selon ce que son appoint se presente. Si Pierre, dit l’ Hermite, ne fust allé au Levant sous pretexte de pelerinage, il n’ eust jamais ouvert aux Princes Chrestiens les moyens du voyage de la terre saincte. Et si les Turcs en contr’ eschange n’ eussent esté amorsez de la douceur de l’ Europe, quand pour la premiere fois ils furent semonds par l’ Empereur de Constantinople à son ayde, ils n’ eussent, peut-être, eu en opinion pour la seconde fois de traverser l’ Helespont (que nous appellons le bras sainct George) pour s’ empieter de la Grece, ains se fussent contenus dans les bornes de leur Natolie. Et certes en la deduction de ce poinct, il y a tant d’ exemples si memorables, que ce ne seroit que redite & remplissage de papier de les vouloir icy annombrer. Ceux de la grand Bretagne, entre-autres, sçavent bien comme il leur en prit de la part des Saxons & Anglois, lesquels apres avoir rangé les Pictes & Escossois à leur devotion en certain coing du pays, au profit de la grand Bretagne, s’ en emparerent puis apres, chassans les pauvres habitans, de leurs propres sieges & manoirs. Il me plaist seulement raconter deux exemples notables, & paraventure notoires, qui advindrent du temps des Gaulois. Mais avant que passer plus outre je veux dire, qu’ il y eut principalement deux motifs, pour lesquels les Romains aisenment s’ impatronizerent des Gaules, dont le premier est assez solemnisé par la bouche du commun peuple, c’ est à dire les divisions & partialitez qui y regnoient, desquelles Jules Cesar, qui estoit de nature prompte & remuante, sçeut tresbien faire son profit, non seulement encontre nous, mais aussi à l’ endroict de sa propre patrie. En sorte qu’ il n’ y eut jamais plus grande occasion qui apporta fin à la liberté des Gaulois, que celle mesme qui donna peu apres definement à la grand Republique de Rome. Et de ceste cause en sourdit une autre qui leur pourchassa entierement leur ruine. Car s’  estans en ceste façon, les Sequanois, Auvergnacs, & Heduens aigris pour attaindre au haut degré de principauté l’ un sur l’ autre, un chacun selon ses necessitez practiquoit aide estrange: esperans par ce moyen venir à chef l’ un de l’ autre: non toutesfois prevoyans le grand dommage qu’ ils se brassoient, dont l’ issuë leur donna certain advertissement. Pour laquelle chose desduire plus amplement, faut entendre que les Heduens apres plusieurs rencontres ayans gagné le premier lieu de souveraineté entre les Gaulois: les Auvergnacs & Sequanois, jaloux de ceste seigneurie, & se trouvans n’ avoir l’ avantage de leur costé, tournerent toute leur pensee vers l’ Allemagne: de maniere qu’ apres plusieurs instances, promesses, & sollicitations, ayans attiré à leur cordelle le Roy Ariovist & ses gens, du pays de la Germanie, ils remuerent si bien mesnage, que finalement toute la puissance des Heduens fut transportee aux Sequanois. Mais que leur advint-il de ce grand bien? si grand mal qu’ il leur esté trop plus expedient que la primauté fut tousjours demouree en son entier vers les Heduens. Car estant leur puissance amortie, & se voyant Ariovist assez puissant pour forcer les Sequanois, luy-mesme leur imposa Loix, & s’ investit, bon gré mal gré, de la tierce partie de leurs terres & seigneuries. Et ainsi regna quelque temps avec toutes les extorsions & tyrannies dont il se peut adviser, jusques à la venuë de Cesar: duquel les Gaulois se voulans aider pour dechasser Ariovist (ne s’ estans encor rendus sages par l’ exemple des Sequanois) auecq’ l’ aide de Jules Cesar exterminerent veritablement Ariovist, mais ils firent par ceste victoire telle planche au Romain, que depuis par longue succession de temps demeura la domination des Gaules devers luy. Qui sont deux exemples, qui deussent servir d’ un bon miroir, & enseignement à nous autres, qui fondons une partie de nos victoires dessus ces armes auxiliaires, espuisans par ce moyen nostre France d’ une grande partie de son or, & ancantissans nos subjects pendant que nous soudoyons l’ estranger, & luy donnons courage de se duire & industrier à nos despens, aux armes, lesquelles, peut-être, un jour il employera à nostre desadvantage. Ce qu’ il ne plaise à Dieu permettre.

Quels furent les defaux des Gaulois, au moyen desquels les Romains s' emparerent principalement des Gaules.