Chapitre V.
Il est si facile de comparer les noms de nombre, adoptés par les diverses langues de l’ Europe latine, et de reconnaître les rapports qu’ ils ont entre eux, et les modifications qu’ ils ont éprouvées dans chaque langue, que je me bornerai aux seules observations qui auront l’ avantage d’ indiquer quelque rapport plus spécial, plus caractéristique.
Nombres cardinaux.
Roman. Français. Espagnol. Portugais. Italien.
Un, un, un, um, un.
Dans la langue romane UN était mis au pluriel, quand il se rapportait à un nom qui s’ exprimait spécialement par ce nombre.
Français:
La langue française conserva cette forme pendant quelque temps, mais elle n’ est plus en usage.
“Se li caucha unes cauces brunes… on li aporta uns esperons ou d’ or ou dorés… L’ Ordène de Chevalerie.
Unes patenostres y a
A ung blanc laz de fil pendues.
Espagnol:
L’ espagnol admit aussi ce pluriel.
Mandó facer unas letras que avien tal tenor.
Unos pocos miraclos vos querria contar.
Vid. de S. Millán, cob. 109.
Portugais:
“Humas esporas, hums çapatos.” Elucidario, t. 2, p. 269.
Cette forme ne se retrouve pas en Italien.
Dui, sujet, et dos, régime, romans, et leurs composés passèrent en français.
Sa fame font les loz giter
Dont li DUI frere les DEUS orent.
Fabl. et Cont. anc., t. 4, p. 250.
Isnelement se deschaucerent,
Embedui en un lit coucherent.
Fabl. et Cont. anc., t. I, p. 201.
Devant les voisins qui là viennent
Qui por fox ambedeus les tiennent.
Roman. Français. Espagnol. Portugais. Italien.
Tres, tres, tres, tres, tre.
Le français, ainsi que le roman, désigna les sujets et les régimes.
Chil troi porront bien l’ ostel gouverner. Chans. Pléust. (1: Roquefort, de la Poésie Française, p. 387.)
A Dieu s’ en vont clamer tuit troi. Fabl. et Cont. anc., t. 4, p. 117.
“Qu’ il ait tres fois.” Lois de Guillaume le Conquérant, XLII.
L’ ancien espagnol s’ est servi de SEX comme la langue des troubadours, qui disait aussi SEI.
Sex razones debemos en ella aguardar.
Il a aussi employé Nuef, qui est évidemment le NOV roman, ainsi que je l’ ai expliqué.
Una nina de nuef años á oio se paraba. (N. E. niña sin ñ, años con ñ.)
Quoique depuis long-temps l’ italien se serve du mot Dodici, on trouve, dans ses anciens auteurs, le mot Doze roman, adopté par les autres langues.
E doze mila some di bisanti. Niccolo da Siena. (2: Tavola de’ Doc. d’ Amore, vbo Dozi.)
(N. E. bisanti, besantes, besans o besants : moneda, Bizancio, bizantino)
L’ espagnol a dit autrefois Veint et Ceint qu’ il exprime aujourd’hui par veinte et ciento.
Veint eran por cuenta todos caballeros.
Poema de Alexandro, cob. 1754.
Do trovaban conseio mas de cient veces ciento.
Vid. de S. Domin. Cob. 197.
Cient carros bastidos de bonos balasteros.
Poema de Alexandro, cob. 1881.
(N. E. ballesteros; ballesta, balasta)
Peche cient maravedís. Fuero de Molina. (1: Llorente Not. de las prov. vasc. t. IV, p. 128.)
Nombres ordinaux.
Il y a peu d’ observations à faire sur les nombres ordinaux.
En espagnol Primer, roman, ne prit pas l’ O euphonique devant un substantif.
“El primer mercado después de la fiesta de Sant Miguel.”
Fuero de Molina. (2: Ib. p. 122.)
Des manuscrits du Fuero Juzgo offrent la variante de Primer Titol, tandis que primero titolo, se lit dans d’ autres.
On trouve aussi:
“Fasta l secund anno que nos regnamos.” Fuero Juzgo, II, I, p. II.
En français, les mots tiers, quart, quint, qui ne sont plus employés qu’ en forme de substantifs, furent pendant long-temps adjectifs numéraux, comme ils l’ étaient dans la langue romane.
“Et al tierz jor lor dona Diex bon vent.” Villehardouin, p. 52.
Iluek l’ unt treit, si sunt alé
Al terz champ où il l’ unt mené.
Marie de France, t. 2, p. 451.
Le premier est de plomb et d’ estein le deuxième,
Le troisième est d’ acier, le quart d’ or jaunissant,
Le quint est composé d’ électre paslissant.
Du Bartas, p. 419.
L’ italien dit primier et primiero; il ajoute l’ O euphonique à second, terz, quart, quint, adjectifs numéraux romans:
Secondo, seconda,
Terzo, terza,
Quarto, quarta,
Quinto, quinta.
Les patois de la haute Italie ont dit primer, secund, terz, quart, quint, etc..